Qu’est-ce qu’une Fabrique ?
Au départ c’est une assemblée de clercs dépendant d’une église auxquels s’ajoutent, depuis le concile de Trente, au milieu du XVIème siècle, des laïcs chargés de l’administration des biens de la communauté paroissiale.
Les membres du conseil de Fabrique sont des administrateurs désignés sous le terme de Marguilliers ou fabriciens.
Pour mieux comprendre il est utile de rappeler l’organisation de la Société sous l’Ancien Régime.
Les instituions ont évoluées au cours des siècles mais il n’existe aucun texte qui fixent leurs compétences. A la veille de la Révolution quatre divisions coexistent et s’entremêlent ; diocèses, gouvernements militaires, baillages et sénéchaussées auxquels s’ajoutent les généralités et les provinces.
En outre, il faut différencier les villes et les campagnes. Si les villes sont assez structurées, dans les campagnes la vie s’est constituée autour de la circonscription dénommée « paroisse ». On parle aussi de « communautés » d’où naîtra le nom de commune.
La paroisse est l’étendue du territoire soumis à l’autorité spirituelle d’un curé et l’église est le lieu de réunion commode à l’occasion des cérémonies du culte, les dimanches et jours de fête. C’est à l’église que se rencontrent les habitants disséminés aux alentour. C’est là qu’ils vont se réunir pour parler de leurs problèmes et décider ensemble des mesures à prendre au niveau de la communauté.
Noisy, population de paysans est donc un village qui va se développer autour de son église dédiée à st Etienne. Notons que Merlan , pourtant agglomération distincte , fait partie de la Paroisse de Noisy puisqu’elle ne dispose pas d’église propre.
A la fin du XVIIème siècle, les communautés ont acquis une relative indépendance. Si l’autorité royale pèse par l’intermédiaire des intendants, les communautés ont leurs assemblées qui portent sur tous les points qui intéressent la vie des habitants. S’il existent des fonctions laïques comme l’élection des syndics ou des messieurs, ou la gestion des biens communaux ou de la collecte des impôts, la collecte l’organisation de la Paroisse est confiée à la Fabrique, chargée de la gestion des intérêts matériels de l’église.
église saint Etienne au 17ème siècle – illustration
Le curé est le chef spirituel et jouit d’une influence considérable sur ses fidèles, la religion chrétienne concernant l’ensemble des habitants.
Il peut recevoir dons et legs et l’église possède des terres distinctes de celles de la Fabrique, qui lui confèrent une partie de ses revenus.
Venons–en au règlement de la Fabrique datant de 1765 tel qu’on le trouve dans le livre d’Hector Espaullard. Je vais essayer de résumer car il ne contient pas moins de 54 articles.
La Fabrique est dirigée par deux marguilliers qui sont renouvelés un an sur deux par vote de l’assemblée et choisis parmi « des habitants de bonnes mœurs, d’une probité reconnue et qui par leur état et profession puissent en remplir les devoirs avec assiduité »
L’élection a lieu tous les ans, le dimanche de la Passion, en présence du curé, des marguilliers en charge, des anciens marguilliers et habitants du lieu qui voudront y assister.
C’est le marguillier qui exerce la 2ème année qui gère les deniers (c’est à dire les avoirs liquides) ainsi que les rentes de la Fabrique. Il ne peut engager aucune dépense extraordinaire (au-delà de 10 livres) ou engager de procès sans délibération de l’assemblée, telle qu’elle a été décrite ci-dessus.
Il devra rendre compte de sa gestion le 1er dimanche d’octobre après sa sortie d’exercice.
Tous les comptes, pièces justificatives sont inscrites et déposées sur un registre placé dans un coffre fermant à 3 clefs et 3 serrures différentes placé dans la sacristie. Les clefs seront remises au curé, au marguillier chargé de l’exercice comptable et à un notable habitant, choisi par l’assemblée.
Ces comptes sont présentés à l’archevêque quand il vient en visite. Les baux et héritages appartenant à la Fabrique seront passés devant notaire. Le curé doit faire les réparations de l’église et du presbytère tandis que les marguilliers doivent veiller à sa propreté. Il est même prévu que « dans les beaux temps, il y ait quelques vitraux de l’église ouverts pour prévenir l’humidité »
Plusieurs articles sont dédiés à la concession des bancs. Par exemple, le prix des chaises est fixé à 2 liards « sauf à partir, ledit prix plus haut pour les jours et fêtes solennelles et ceux où il y aura sermons, s’il est jugé convenable par une délibération prise par l’assemblée ».
De même, bedeau et autres serviteurs de l’église ne pourront être nommés ou congédiés que par délibération prise par une assemblée des habitants.
A l’administration de la Fabrique s’ajoutent les articles concernant les biens et les revenus de la « Charité ».
La Charité est la partie de la Fabrique qui s’occupe des œuvres de bienfaisance.
Les assemblées concernant la Charité de Noisy-le-Sec se tiennent sous la même forme que celle s de la Fabrique sous la présidence du curé.
Seront nommées dans une assemblée et par la pluralité des voix 12 filles de la Paroisse qui seront chargées chacune un mois de quêter pour les pauvres, aux offices de l’église.
Un procureur est élu pour 3 années pour faire la recette des deniers et les employer à l’acquit des charges et à la subsistance et entretien des pauvres et autres dépenses nécessaires.
Il doit rendre des comptes une fois par an et disposer le reliquat dans le coffre dédié à la Charité, sachant que dans ce coffre, les produits de chaque quête sont immédiatement déposés et que le coffre a lui aussi trois clefs, une au curé, une au procureur fiscal, une au procureur de la Charité. Le coffre est ouvert tous les 3 mois.
Le procureur distribuera les aumônes sur signature du curé mais uniquement en nature, comme pain, viande, vin et autres choses semblables.
Il est bien précisé que ne seront point assistés ceux qui seront abonnés au vin ou à la débauche, les jureurs et généralement tous ceux et celles qui seront de mauvaises mœurs et pareillement ceux qui négligeraient d’envoyer leurs enfants aux écoles, catéchisme et instructions.
En 1782, est édité un nouveau règlement sur arrêt de la cour du Parlement ont nous avons un exemplaire.
Il ne diffère guère de celui dont je viens de parler. S’y ajoutent quelques précisions sur la sonnerie des cloches, le choix et les devoirs des chantres, enfants de chœur et bedeau qui doivent être assidus à leurs devoirs et exécuter les ordres à eux donnés.
Les habitants qui sont revêtus de surplis ou de chape auront place dans les stalles du chœur, recevront le pain bénit et auront préséance sur toute autre personne qui ne font pas partie du clergé.
Un article définit la distribution du pain bénit, redéfinit la concession des bancs. Les 3 derniers articles laisse entendre à un certain laisser-aller des paroissiens qui doivent se comporter dans la dite église avec la révérence convenable et le respect du à la Divine majesté et à la sainteté du lieu. Leur sera fait défense d’y causer aucun scandale et d’y mener aucun chien ou autre animal capables d’occasionner et d’y faire du bruit.
Sont également enjoint aux personnes qui ne peuvent se dispenser d’apporter leurs petits enfants à l’église de se placer proches des portes afin de pouvoir les sortir aussitôt qu’ils commenceront à crier.
Et le règlement se conclut par la défense de tenir au dit Noisy le Sec aucunes foires et marchés les jours de dimanche et fêtes solennelles et les dit jours, aucunes dans publiques appelées fêtes baladaires. Défense pareillement faite à tous cabaretiers ou autres vendant du vin de recevoir dans leurs maisons aucun habitant de la paroisse les dit jours pendant la grand messe, le sermon et les vêpres et à tout bateleur et autres de jouer et faire aucune représentation permise et licite pendant le service divin .
L’administration, des biens et revenus de la Charité, ne varie guère.
Nous avons vu que la Fabrique qui gère les biens matériels avait possibilité de recevoir dons et legs.
En voici quelques exemples relevés par Hector et Espaullard :
- le 25 janvier 1515, don de Rolland Girard et Jehanne sa femme de deux demi quartiers de vigne
- le 23 juin 1590, par testament Denis Alix lègue une rente annuelle et perpétuelle de 30 livres.
- vers 1630, dons de Denis Goullard, jean Vié, Jean Trousselard soit 3 quartiers 8 perches de terre et 36 livres de rentes.
- Parallèlement, en 1578 les marguilliers font l’achat d’une maison proche et attenante à l’église.
Sous le ministère du curé Gilles Guérin, la Fabrique reçoit beaucoup de legs et de fondations, en particulier le testament d’Antoine Blancheteau le 9 mai 1663. « La testateur donne à l’œuvre de la Fabrique1 demi arpent de terre labourable ainsi que la somme de 11 livres, 12 sols, 6 deniers de rente pour chacun des ans ». A charge tout de même de faire célébrer tous les vendredis une messe à perpétuité pour le repos du dit testateur et de Françoise Guillard sa femme quand il plaira à Dieu de les appeler de ce monde… et soit mise et attachée une plaque de taille ou de marbre , tel qu’il plaira aux exécuteurs du dit testament (il s’agit des marguilliers) contre le pilier qui est vis à vis de la chaire à faire les prosnes, le plus proche de la place de la sépulture, pur servir à la postérité !
S’y ajoutera un codicille de 41 livres, 12 sols et 6 deniers.
En 1665, c’est Jacqueline Mautuit, veuve de Denis Gouillard qui lègue à la Fabrique, en échange de 4 messes basses de requiem par semaine et de 6 saluts par an, 2 arpents de terre, la moitié d’une maison sise à Paris, rue st Martin, 60 livres 10 sols de rente perpétuelle et une autre de 22 livres et encore 30 livres à la confrérie de la Charité à charge pour les marguilliers de distribuer aux pauvres qui se trouveraient à son enterrement 60 livres tournois ainsi que 30 autres livres à 12 des plus pauvres femmes veuves de Noisy.
Comme pour le précédent une plaque en marbre gravée d’or rappelait aux générations futures cette grande libéralité mais elle a disparu comme beaucoup d’autres.
Tout cela va entrainer au cours du XVIIIème siècle, une série de procès entre le curé, les marguilliers et les assujettis au paiement des rentes qui remontent parfois au XVIème et même au XVème telle la rente d’un pourceau gras et d’un muid de méteil dont l’origine remonte à 1498.
D’où les vœux des Noiséens dans leur cahier de doléances du rahat de toutes ces charges.
Survient la Révolution. En 1789, les biens de la Fabrique auraient du normalement être attribués aux communes substituées aux paroisses. Il n’en fut rien .
Considérés comme biens du clergé, ils furent déclarés biens nationaux et mis en vente.
La Fabrique possède alors un territoire divisé en multiples parcelles d’une surface de 1564 perches (9 à 10ha) (une revenu de rentes sans doute avoisinant les 600 livres, revenu de la maison 350 livres en 1738)et d’une maison mise en vente le 19 décembre 1791 et le 12 novembre 1792 puis le 20 novembre 1794 pour les biens restants.
Tous les terrains de Noisy vont trouver acquéreurs à la différence des biens de la Charité, mis en vente en même temps, qui ne trouvent pas d’acheteurs. D’où la conclusion d’Hector Espaullard « Notre population, mieux inspirée par sa générosité que les législateurs au cœur sec, refusa de se prêter à la spoliation des pauvres. Sa conduite l’honore : il convient d’en ranimer le souvenir. »
La renaissance de la Fabrique
On aurait pu croire qu’avec la Révolution et la chute de l’Ancien Régime les Fabriques auraient définitivement disparu ? Il n’en fut rien.
Dès que la réouverture des églises est tolérée en 1795 , la Fabrique se réorganise. La première assemblée, présidée par Nicolas Blancheteau, destine les quêtes et dons des fidèles à reconstituer les objets indispensables au culte et à faire les réparations urgentes dans l’église.
La réélection annuelle des marguillers va reprendre suivant la coutume. On y retrouve les noms de Blancheteau, Leduc, Budor, Hanotelle, Espaullard, familiers des Noiséens.
La Loi du 18 germinal an X ( 8 avril 1802) rétablit officiellement les Fabriques pour veiller à l’entretien et la conservation des temples (sic) ainsi qu’à l’administration des aumônes . Suivant cette Loi , à partir de 1803, les membres du conseil de Fabrique doivent être nommés par l’évêque ou par le Préfet.
Mais apparemment à Noisy, soit par ignorance soit par mauvaise volonté, on garde l’ancien usage, ce qui fait qu’en 1807, lors d’une visite de la paroisse, le vicaire général inflige un rappel à l’ordre et l’obligation désormais de soumettre les nominations à l’acceptation du Cardinal archevêque de Paris.
Quant à l’établissement du service de la Charité, nous avons vu que ses biens n’avaient pas trouvé preneurs lors de leur vente à Noisy-le-Sec. Mais contrairement à la Fabrique qui va renaitre, la Lo du 7 frimaire an V va désormais placer les institutions charitables sous la surveillance des municipalités. Après la Révolution de 1830, une ordonnance du29 avril 1831 remplacera définitivement l’appellation de Charité en bureau de bienfaisance. La plupart des rentes perpétuelles avaient été rachetées et soldées pour une somme globale.
Revenons à la Fabrique
Le 30 décembre 1809, un décret impérial règle définitivement la constitution des conseils de Fabrique en France. Noisy rentre en possession de quelques titres de rente, 46 fr, qui n’avaient pas été vendus comme biens nationaux
Le 8 décembre 1811, une assemblée extraordinaire est tenue à Noisy en présence de plus de 50 habitants afin d’augmenter et d’assurer les revenus de l’église et statuer sur les dépenses nécessaires tant pour l’intérieur que pour l’extérieur du bâtiment.
Un nouveau règlement est établi concernant principalement la location des bacs, les sonneries, les quêtes.
Notons que « M de Reusse, propriétaire de l’ancien château de Noisy et M Tripier, avocat, propriétaire de l’ancien fief du Londeau, sont très humblement suppliés de recevoir la charge de marguilliers d’honorer pour nous aider de leurs lumières, leurs conseils et leur protection ».
Les dons et legs sont repris comme en témoigne la plaque que l’on peut toujours vor sur un mur de l’église st Etienne, le dernier remontant à 1904. On peut y voir par exemple le nom de Marie-Jeanne Cochu, épouse Poupart qui par un testament daté du 19 aout 1854, a légué 4 000 fr au bureau de bienfaisance et 1 000 fr à la Fabrique, pour que les deux sommes soient employées au soulagement des pauvres et à l’entretien d’un autel dans l’église de Noisy. La plaque fait elle référence à une rente supplémentaire de dite paroissienne. Elle se termine par les remerciements de « la Fabrique reconnaissante » pour les rentes émanant des vieilles familles de Noisy comme les Durin, les Cochu, les Budor ou les Blancheteau.
En 1813, intervient la réglementation des sonneries, leurs durées et leurs montants. Les clefs du clocher sont entre les mains de 3 personnes : le maitre d’école en a une pour le remontage de la cloche, le bedeau une deuxième et le desservant la troisième. Ils doivent immédiatement après usage les remettre à l’endroit où ils les ont prises.
Cela donne lieu en 1884 à un conflit entre la mairie et le curé Barthélémy. Le maire réclame une clef pour les sonneries civiles mais il essuie un net refus.
En 1843, le conseil de Fabrique qui fait office de pompes funèbres, déclare urgente la nécessité de faire de nouveaux tarifs plus conformes aux besoins présents de la paroisse. Conformément aux vœux de l’administration, ce ne sera finalement qu’en 1847 qu’une convention est établie entre la Fabrique et M Langlois, directeur de l’entreprise de pompes funèbres, rue de Chabrot à paris qui répartit les bénéfices entre les deux parties.
En 1864, la Fabrique offre une des trois nouvelles cloches de st Etienne. Ce qui donnera lieu par la suite à une anecdote pittoresque. Pendant la guerre de 1870, le 29 octobre , le conseil de Fabrique se réunit avec le conseil municipal et la garde nationale . Dans un grand élan de patriotisme, ils décident de faire dons de 3 des 4 cloches composant la sonnerie de l’église afin de les transformer en canons. Offre apparemment sans suite puisque les cloches sont toujours là.
A l’issue de cette guerre, la Fabrique adresse à l’administration l’état des dégâts dans l’église qui portent essentiellement sur la disparition des chaises et des prie dieux, des meubles abimés, de serrures brisées, de lustres dégradés et de la disparition de plusieurs objets de culte, le tout étant chiffré à 2 815 fr
En 1876, le conseil de Fabrique vote l’acquisition d’un orgue de 13 jeux à la maison Abbey de Versailles pour le prix de 11 500 fr, ainsi que la décoration du sanctuaire et de la nef.
Mais sous l’exercice du curé Fernique, entre 1896 et 1898, la belle ordonnance va se fissurer quand celui ci renouvelle totalement la composition du conseil de Fabrique en remplaçant les vieilles familles de Noisy par des membres de la population récemment arrivés dans la commune.
La fin du conseil de Fabrique
Cependant, ce ne seront ni la Révolution, ni les conflits qui auront raison de cette vénérable institution mais en 1905, la Loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ainsi va disparaître ce qui a été au cœur de la vie des Noiséens depuis tant de siècles.
J’ai retrouvé aux archives de Noisy l’inventaire des biens de l’Eglise établi par l’administration en exécution de l’article 3 de la Loi du 9 décembre 1905.
Sont décrits les biens fonciers d’une valeur de 12 000fr pour l’église et 8 000frpour le presbytère ainsi que la liste de tous les objets conservés dans l’église et la sacristie. Cela va de 3 cordons d’aube à 1,50fr au maitre autel et à l’orgue estimé à 2 000fr. Y figure également la présence de 10 tableaux dont l’un « -le baptême du Christ » est estimé à 1 500fr (ne reste actuellement qu’une crucifixion).
Il est noté que « malgré les recherches minutieuses » aucun vase sacré n’a été découvert. En fait, ils avaient été retirés de l’église et cachés en lieu sûr.
Les deniers et titres de propriété n’y figurent pas non plus car la fameuse armoire spéciale a été mise à l’abri dans une maison particulière.
Il faudra attendre 1910 pour que le reliquat s’élevant à 1 054,05fr soit remis au receveur de la République. Sur le document, figure l’intitulé « ancienne Fabrique de Noisy-le-Sec »
Ainsi s’achève définitivement l’histoire de la Fabrique de st Etienne de NLS
Paule Bergé
Sources :
Noisy-le-Sec Village heureux ville martyre, Hector Espaullard
Archives municipales de Noisy-le-Sec.