Je vous propose aujourd’hui un document tiré d’un journal Le Charivari.
Un mot sur ce journal. Il s’agit du premier quotidien satirique du monde, qui parut de 1832 à 1937. Fondé en 1832, sous le règne de Louis-Philippe, par le journaliste républicain Charles Philipon, il devient rapidement un moyen de communication de l’opposition. Il ridiculise avec entrain la monarchie de juillet et la bourgeoisie et fut souvent condamné par les tribunaux. En 1846, le tirage moyen du Charivari est de 2 740 exemplaires,
Le bandeau du journal représente le journaliste Charles Philipon, dessiné par Grandville et gravé par Forest. Philipon est assis dans son fauteuil et tire les ficelles de diverses marionnettes.
La lithographie, étudiée ce jour, fait partie d’une série publiée dans le journal sous le titre « Les fêtes champêtres », il s’agit de la 4ème planche de la série. L’original est conservé au Musée Carnavalet. A titre d’exemple la première planche s’intitule « La course en sac » .. L’auteur est Charles Vernier, l’éditeur est Aubert et cie. On peut trouver aisément ses œuvres sur le site Gallica.
La planche présente deux dessins placés l’un au-dessus de l’autre.
Le premier est légendé « Elite de la société Mabile au bal de Noisy-le-Sec ».
A quoi correspond le terme société Mabile ? Il s’agit de la société qui fréquentait le bal Mabille et qui venait s’encanailler, hors de Paris, dans les guinguettes. C’était un établissement de danse fondé en 1831 par un professeur de danse du faubourg Saint-Honoré, Mabille père, sur l’actuelle avenue Montaigne à l’époque presque champêtre. Au début, le bal était réservé aux élèves de Mabille père, puis il fut ouvert au public. En 1844, ses fils, les frères Mabille décidèrent de le transformer en une sorte de jardin enchanté entièrement artificiel avec des jardins, des allées sablées, des pelouses, des galeries, des bosquets et une grotte.
Le bal Mabille devint en peu de temps l’établissement le plus en vogue du Paris de l’époque. Il était réservé, en raison du prix d’entrée, à des personnes assez aisées. C’est au bal Mabille que le danseur Chicard (de son vrai nom Lévêque) introduisit le cancan, danse avec un rythme endiablé, très osée, car à l’époque, les femmes portaient des culottes fendues et qui fit perdre la tête au tout-Paris. Le bal Mabille fut frappé par deux obus lors du siège de Paris en 1870. Il ferma en 1875 et fut démoli en 1882.
Pourquoi la société de Mabile vient danser à Noisy-le-Sec (entre autres) ?
En 1781, lorsque Louis XVI ordonne la construction du mur des Fermiers généraux, de nombreux débits de boisson s’implantent hors les murs. Des bals que l’on appellera rapidement les « guinguettes » s’y installent. Nous avions évoqué ce phénomène lors de notre exposition “Noisy village vigneron”.
Qu’entend-on par “guinguette” ?
En 1723, le dictionnaire universel de commerce de Savary donne la définition suivante de Guinguette : « nom de caprice nouvellement inventé, qu’on donne à ces petits cabarets établis aux environs de Paris au-delà des barrières (octroi), ou le menu peuple va en foule se divertir les dimanches et les fêtes, à cause que le vin y coûte moins, ne payant point où peu de droits d’entrée. »
Ce qui est le plus probable aujourd’hui c’est que guinguette vient d’un vin appelé guinget qui est un petit méchant vin vert qui donne la danse de gigue, produit aux environs de Paris.
La consommation de ce vin de qualité médiocre est liée aux conditions économiques de l’époque et surtout de l’octroi. Toute marchandise entrant dans Paris est taxée, et comme cet impôt indirect est la principale ressource de la municipalité, les droits d’entrée peuvent être augmentés de 50%.
Aller à la guinguette, c’était l’occasion d’une évasion vers la campagne toute proche, la question de l’hygiène était aussi une raison, car Paris était pollué avec ses ruelles étroites, ses logements insalubres et son absence d’égouts. Les guinguettes les plus connues sont celles du bord de Marne ou l’on perpétue aujourd’hui encore la tradition.
Il y eut des guinguettes à Romainville, Bagnolet, Gagny et donc à Noisy-le-Sec.
Où pouvaient elles se situer ? Il est difficile de le dire aujourd’hui. Nous pensons avoir trouvé trace de l’une d’elle, il s’agit de la Tour Bonnevalle située rue de la Forge approximativement à l’angle avec l’actuelle rue Marc Sangnier.
Ce qui nous met sur cette piste c’est une carte postale légendée « ancien moulin de la galette ».
Il s’agit de l’ancien moulin de la Petite Tour construit dans les années 1517. C’est de tous les moulins de Noisy, celui qui resta le dernier en service ; le redressement du chemin de la Forge et sa transformation en route départementale, rendit son utilisation impossible. La tour, qui existait encore au début du XXème siècle, mesurait 12 mètres de hauteur. Son diamètre extérieur était d’environ 7,75m et le diamètre intérieur de 5,30 m.Elle était devenue une annexe du café restaurant tenu par M. Bonnevalle qui proposait ses salles pour des noces et des banquets. Il possédait un billard. De nombreuses cartes postales nous montrent le moulin reconverti en tour médiéval à créneaux.
Une pelle, située à l’angle de la rue Jean Jaurès et de la rue Marc Sangnier, rappelle l’emplacement du moulin.
Pourquoi ce nom de moulin de la Galette ? Il a existé de nombreux « moulin de la Galette ». le plus célèbre est à Paris ou il existe encre mais il y en existait un également à Bagnolet pour citer un exemple plus proche.
D’ou vient ce nom ?
Il existait une coutume que les moulins transformés en guinguettes vendent des galettes préparées par la meunière. Une cloche prévient les clients-es quand, sortie du four, elle est cuite à point. On venait de loin pour déguster les galettes à vingt sous.
L’ambiance dans ces guinguettes est décrite ainsi par André Gill dans son Moulin de la Galette :
« Un orchestre d’estropiés
Donne le branle à cette foule
On s’écrase les pieds
On chahute, on hurle, on se soûle. »
C’est sans nulle doute ce qui explique le deuxième dessin intitulé “Monsieur le Maire n’est plus content ! “.
On y voit que la fête a dégénéré.
(Le maire de l’époque est Antoine, Jean-Baptiste Durin, il était maçon et est mort en fonction (1848 – 1854)).
AM Winkopp