Des héros … et des salauds
Novembre 1943 –
Comme la totalité du pays et la majeure partie de l’Europe, la ville de Noisy-le-Sec est sous le joug nazi.
Comme dans toute la France, la population est très partagée :
- une petite minorité résiste héroïquement, que cela soit le cas des membres des réseaux de résistance, armés ou non, notamment chez les cheminots, qui agissent sur place en prenant des risques considérables et le payent souvent de leur vie, que cela soit le cas de ceux qui ont quitté la ville pour rejoindre l’Angleterre via l’Espagne (et souvent son camp de Miranda dirigé par un officier nazi) après avoir pu traverser à temps les Pyrénées en évitant les balles des soldats allemands. D’autres encore, parfois pour échapper au STO (Service du Travail Obligatoire), ou encore en tant qu’anciens militaires prisonniers qui avaient pu s’échapper de leur Stalag en Allemagne, ont pu rejoindre les maquis FFI et FTP du centre et du sud de la France.
- une autre minorité, très active mais marginale, collabore ouvertement avec l’occupant, tels les membres de la Milice présidée par Pierre Laval et dirigée par le sinistre Joseph Darnand, qui pratique tortures, rafles — notamment à l’égard de la population juive — et exécutions sommaires, ou encore ceux qui sont membres ou indicateurs de la Gestapo ou de la Waffen-SS. Certains autres « se contentent » de dénoncer les activités de leurs voisins résistants (on rappellera que la police et la Gestapo ont reçu pendant la guerre une moyenne de 2700 lettres anonymes par jour en France, soit 3 à 5 millions sur la période !). D’autres encore profitent au mieux de la situation, en revendant à prix d’or au fond de leur jardin des BOF (beurre, œufs, fromage) à une population victime de privations.
- dans la grande majorité de la population, on retrouve toutes les palettes des réactions, depuis le ressentiment jusqu’à l’acceptation forcée — mais toujours dans le cadre de souffrances liées à l’absence de libertés, aux privations quotidiennes, à l’humiliation, aux contraintes de la vie très mal acceptées, aux absences de maris ou de pères prisonniers en Allemagne ou ayant rejoint les maquis.
Parfois la situation est plus nuancée, le contexte change, les mentalités et les prises de décision évoluent, et peuvent même être contradictoires avec les positions initiales – que cela dans le mauvais sens, ou souvent dans le bon sens. Mais la confusion des genres reste extrême, à tous les échelons de la société française … Par ailleurs la segmentation politique gauche/droite, tout comme celle pacifiste/militariste, déterminantes jusqu’à maintenant, deviennent totalement inopérantes. Qu’on en juge …
– je citerai d’abord Philippe Pétain, vainqueur à Verdun en 1916, adulé par ses soldats, qui évoque en 1940 la voie « de la collaboration sincère » entre les deux pays, en serrant la main de Hitler lors de l’entrevue de la gare de Montoire ;
– j’ai déjà évoqué Darnand, héros de la première guerre mondiale, mais également des combats de mai-juin 1940, qui finira fusillé en 1945 après avoir été condamné par la Haute Cour de Justice;
– on peut également parler des parlementaires, notamment issus des socialistes, élus de la chambre du Front Populaire, accorder à leur très grande majorité les pleins pouvoirs à Pétain pour mettre en place une nouvelle constitution devant garantir les droits, je cite : « du Travail, de la Famille et de la Patrie ». Ils participeront ensuite à son Conseil national;
– le 1er octobre 1940, Jacques Duclos, dirigeant du PCF, diffuse une lettre ouverte invitant le gouvernement français à engager des négociations avec l’Allemagne nazie;
– d’anciens dirigeants éminents de ce parti, tel Marcel Gitton (ex-secrétaire du PCF) ou Jacques Doriot, qui, après s’être battu avec vaillance contre les Allemands en mai-juin 1940 (il y reçoit la Croix de guerre avec palmes), fondateur ensuite du PPF, basculent vers la révolution totalitaire nazie. Tout près de chez nous, le sénateur-maire de Bobigny, Jean-Marie Clamamus, a rejoint Gitton dans la collaboration active;
– Marcel Déat, dirigeant socialiste, munichois notoire, devient ministre de Laval. Condamné à mort, il réussit à la Libération à gagner l’Italie et y finira ses jours caché dans un pensionnat pour jeunes filles. Par ailleurs de nombreux groupes fascisants et d’individus douteux, dont des truands, se rallient à l’occupant et collaborent activement en tant que supplétifs de l’armée d’occupation.
Inversement, certains ayant choisi en premier abord le camp de la collaboration prennent peu à peu leur distance avec l’occupant. Gageons que le principe de précaution a joué pour quelques-uns, voyant la fin du nazisme approcher … :
– François Mitterrand reçoit la Francisque des mains de Pétain en avril 1943. Ce n’est que lors de l’été qui suit — 4 ans donc après la déclaration de guerre — qu’il basculera du côté de la Résistance. Il maintiendra néanmoins toute sa vie des liens sulfureux avec des collaborateurs notoires, tel René Bousquet, et continuera à fleurir pendant des années la tombe du maréchal Pétain ;
– Maurice Thorez, le dirigeant du PCF, déserte militairement dès septembre 1939 et se réfugie à Moscou. Des militants communistes en mai 1940 accueillent fraternellement les soldats allemands. Inversement d’autres, tel Guingouin dans le Limousin, organise des maquis armés dès 1940, ou bien encore Rol-Tanguy, qui deviendra chef des FFI. Mais, avec l’invasion de l’URSS en juin 1941, le PCF — près de 2 ans après la déclaration de guerre — change complètement de ligne et rejoint pendant l’été le combat contre le nazisme. Des milliers de militants de ce parti perdront la vie en luttant contre l’envahisseur (même si le nombre de militants déclarés par le parti fusillés par les nazis – 75 000 est grandement exagéré- on estime leur nombre à 5000 suppliciés, ce qui est déjà beaucoup);
– de nombreux militants d’extrême-droite rejoignent les rangs de la Résistance : ainsi Daniel Cordier (alias Caracalla) : ancien Camelot du Roi, Action française, anti-sémite fascisant au début de la guerre, souhaitant que Léon Blum soit fusillé du fait de son ralliement à la France Libre. Mais, révolté par les conditions de l’Armistice, il bascule et embarque le 21 juin 1940 dans un rafiot pour rallier de Gaulle en Angleterre. Il deviendra le secrétaire particulier de Jean Moulin. Ainsi beaucoup d’autres de ceux qui ont rejoint de Gaulle dès juin étaient d’extrême-droite : on peut citer de Vawrin, devenu chef du BCRA, service secret gaulliste, le colonel Rémy, premier agent de de Gaulle en France occupée, Guillain de Bénouville, ancien dirigeant de la Cagoule, devenu chef du mouvement Combat. Je ne parle évidemment pas des pêcheurs bretons, et notamment de la totalité des hommes de l’Ile de Sein qui ont rejoint l’Angleterre tous ensemble dès juin 1940;
– mais tout demeure encore ambigu pour beaucoup. Ainsi, Philippe Pétain est accueilli triomphalement par des foules nourries de Parisiens le 28 avril 1944. Moins de 4 mois plus tard, le 26 août, de Gaulle est acclamé par peut-être deux millions de Parisiens. Sont-ce partiellement les mêmes, sont-ce d’autres citoyens ? On ne le saura jamais, aucune enquête n’étant désormais possible sur le sujet …
Des héros noiséens
Henri et Marcelle Gougat étaient membres actifs d’un réseau de résistance à Noisy-le-Sec pendant l’occupation. Ils furent dénoncés à ce titre par un certain C., collaborateur de l’occupant nazi, demeurant dans cette ville rue Alexandre Ribot.
Marcelle et Henri Gougat
La Gestapo fit irruption en leur domicile, 4 rue Dombasle (près du boulevard Gambetta), à l’aube du samedi 6 novembre 1943. Henri Gougat eut juste le temps de s’échapper en sautant dans le jardin par la fenêtre arrière du bâtiment.
Son épouse Marcelle fut arrêtée et transférée au siège de la Gestapo, rue des Saussaies, puis à la prison de Fresnes, et leur fille Christiane, âgée d’une vingtaine d’année, emmenée en otage. Son père se livra ensuite aux nazis afin que la jeune fille soit libérée.
Leur voiture contenait une valise détenant de la dynamite qui était destinée à saboter le dépôt ferroviaire de Noisy-le-Sec, pièce importante de la machine de guerre des occupants. Le couple abritait à l’étage deux militaires français qui avaient pu s’échapper de leur camp de prisonniers en Allemagne et étaient cachés par les Gougat à la demande de l’abbé Jean-Louis Gitenet, vicaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, qui lui-même abritait déjà d’autres évadés. Ces deux militaires furent également arrêtés par les policiers allemands.
Transféré au camp de Compiègne, antichambre des camps de concentration, Henri fut déporté à Buchenwald en janvier 1944, puis à Mauthausen le mois suivant, là même où l’abbé Jean-Louis Gitenet, arrêté à Noisy par la police allemande sur dénonciation de son activité de résistance, avait également été transféré (matricule 53 803), et y devint un compagnon de camp de Henri Gougat (matricule 53 805). Ce site de Mauthausen, annexe de Dachau à l’origine, était l’un des sites les plus durs et les plus meurtriers du système concentrationnaire nazi.
On estime qu’entre 125 000 et 320 000 victimes y perdirent la vie pour l’ensemble du complexe, le seul du système concentrationnaire nazi en Europe classé « camp de niveau III », ce qui signifiait qu’il était destiné à être le camp le plus impitoyable à l’intention des « ennemis politiques incorrigibles du Reich », et particulièrement orienté vers l’ élimination de l’intelligentsia des pays occupés par l’Allemagne.
Dans un état d’épuisement total, Henri fut ensuite transféré au château d’Hartheim, centre dit « de convalescence », en fait un lieu d’extermination du camp de Mauthausen. À l’âge de 55 ans, il y décéda dans la chambre à gaz le 19 septembre 1944.
En bleu sur la carte, les transferts successifs de Henri, en rouge ceux de Marcelle
Son épouse Marcelle, après avoir été emprisonnée à la centrale de Fresnes, fut transférée le 31 janvier 1944 au camp de concentration de Ravensbrück, au nord de Berlin, spécialement dédié aux femmes et aux enfants (au moins 132 000 d’entre eux y furent déportés, dont 90 000 exterminés). Chaque « catégorie » de prisonnière y porte une étoile de couleur différente (jaune pour les Juives, verte pour les droits communs, violette pour les Témoins de Jéhovah, noire pour les Tziganes …). Une lettre au centre indique leur nationalité. Marcelle y portait le triangle rouge des prisonnières politiques, matricule 27 422.
Les prisonnières de Ravensbrück sont l’objet d’abus permanents, battues, astreintes au travail et assassinées lorsqu’elles n’en sont plus capables, pour un acte de rébellion ou sans raison particulière. Plusieurs sont exécutées à l’infirmerie du camp par injection létale : à partir de l’été 1942, des expériences médicales sont menées sur des détenues, entraînant de nombreux décès, tandis que la plupart des survivantes en garderont des séquelles à vie.
Marcelle réussit à y survivre vaillamment, en tenant un journal clandestin écrit sur du papier très fin, miraculeusement conservé, qu’elle avait intitulé : Le triangle rouge. Elle fut libérée le 20 avril 1945, à l’âge de 43 ans, lorsque l’Armée rouge atteignit le camp, puis transférée en Suède pour y être soignée. Elle devint dans les années suivantes l’animatrice d’un réseau d’anciennes résistantes et mourut suite à un accident de voiture en janvier 1958.
Après la Libération, le comité d’épuration de Noisy-le-Sec de la Fédération des déportés internés résistants et patriotes tenta de faire interpeller le sieur C.. Malheureusement, suite à un cafouillage administratif inhérent aux conditions de l’époque, cet individu réussit à disparaître de la ville, comme l’indique le document qui suit.
Le fils de Henri et Marcelle, Pierre Gougat, réfractaire au STO, s’engagea comme résistant chez les FFI dans la région d’Angoulême en 1943-1944 et participa à la réduction de la poche de Royan. Après la guerre il dirigea la petite entreprise Lubro dont l’atelier était situé boulevard de la République près de l’intersection avec l’avenue des Monteux. Il était mon parrain. Il tenta en vain, tout au long de son existence, de retrouver cet agent nazi qui avait détruit la vie de ses parents. La boîte à gants de sa voiture contenait un revolver destiné à abattre le dénonciateur. À la fin de sa vie, lorsque je lui demandais s’il était toujours prêt à tirer s’il retrouvait C., il n’était plus si sûr de lui …
Jean-Luc Simon (avec l’aide de Patrick Dubarle, petit-fils du couple de résistants).
4 commentaires
DIXNEUF Gabrielle says:
Juin 15, 2017
Article clair et très intéressant. Rappel douloureux d’un passé vécu en tant que gamins de la rue mangeant ce qu’ils pouvaient trouver et battant la campagne en faisant des kilomètres pour voler les pommes de terre des cochons. Je me souviens, nous les gamins d’un quartier de Limoges, que nous ramassions les herbes qui poussaient entre les pavés pour en faire de la salade (sans vinaigrette !!!).
Tristes souvenirs. J’espère pour mes petits-enfants que les humains d’aujourd’hui et de demain se souviendront des histoires que leur racontaient leurs grands-parents.
geoffriau says:
Déc 18, 2018
bonjour
comment vous contacter ?
nous avons nos aaagrand-parent en commun
winkopp says:
Nov 29, 2021
Bonjour,
Vous pouvez joindre Jean-Luc Simon via l’association. Notre adresse mail : nls.histoire@gmail.com nous transmettrons.
sauvignon says:
Oct 4, 2019
bonjour,
articles tres emouvants merci…
je cherche les descendants d’un resistant résidant de noisy le sec en 1948 il s’agit de georges arnaud né a tunis en 1907 et enfermé au camp de pithiviers pendant4 ans dont il s’est évadé en 45….il faisait parti du réseau front national (rien a voir avec le parti)
je suis helene helene.sauvignon@neuf.fr