La séparation
Appelé sous les drapeaux le samedi 9 avril 1915, à l’âge de 18 ans et 3 mois, au 117ème Régiment d’Infanterie au Mans, après des stages de fusilier mitrailleur à La Flèche et à Clefs (Maine et Loire), il a été versé au 101ème R.I. et dirigé sur Verdun, le 27 mars 1916.
Cette unité, ayant été décimée est dissoute (on ne reformait jamais les régiments exterminés), il a été reversé le 2 octobre 1916 au 303ème R.I. en position sur la Somme (Montdidier). C’est donc dans ce secteur qu’il fut blessé le 24 septembre 1917 et évacué sur un hôpital de campagne où l’on constata un éclat dans l’humérus gauche avec arrachement du biceps, un tympan déchiré et de multiples plaies, notamment à la tête et au visage.
Après 56 jours de soins dans la zone des Armées, il lui fut d’abord accordé 30 jours de convalescence qu’une commission porta à 50, lesquels il passa auprès de nous, dont Noël 1917 et 1er janvier 1918.
Peu de temps avant leur issue, il fut convoqué devant une nouvelle commission à Vincennes. Mais, fils de croquant sans relation ni appui et les besoins de chair à canons se faisant de plus en plus sentir, il fut, malgré ses handicaps, jugé encore suffisant pour retourner à la boucherie.
Il est donc reparti le mardi 8 janvier 1918, vers 14h. Mon père, mobilisé, n’ayant pu obtenir qu’une permission de minuit la veille, seuls, ma mère et moi l’avons accompagné jusqu’à l’extérieur de la gare de Noisy régulatrice et grouillante de soldats de tous âges et armes. Au moment de le quitter, ma mère ne pouvant s’en détacher l’entourait de ses bras en pleurant pendant que je me tenais à côté, en larmes. Puis, du pont sur lequel nous nous étions rendus, nous l’aperçûmes, se frayant difficilement un accès au bord de la passerelle, nous faisant de la main le geste « au revoir », lequel, hélas, devait être le dernier.
Le surlendemain, nous recevions une courte lettre datée du 9 janvier, 10h dont ci-après le texte commenté :
« Je n’ai pas trop chaud, c’est ce qui me fait mal écrire. Je suis arrivé ce matin à 8h à Connantre (12 km à l’est de Sézanne, Marne, arrondissement d’Epernay) où je suis encore. J’ai touché couvert et couverture et, cet après-midi, fringues et équipement. J’ai trouvé partout à manger. Çà marche très bien jusqu’ici. Je n’ai pas été ennuyé. Mon train que vous avez vu partir m’a emmené hier à 8 heures (du soir) à Romilly (sur-Seine, Aube). J’ai passé la nuit dans une baraque (dite Vilgrain du nom de son constructeur) et je suis reparti ce matin à 6h 25. Le fameux train de 3h 29 (de l’après-midi) qu’on m’avait indiqué (à la gare de Noisy) m’aurait tout simplement emmené à Verneuil (l’Etang, Seine et Marne) où j’aurais été obligé d’attendre celui que j’ai pris. Je vous écrirai plus loin et plus au chaud. Je vous embrasse ».
Après de nombreux secteurs de combats (appris par désignation sibyllines parfois incompréhensibles ou censurées), dans la Meuse : Autrécourt, Ligny-en-Barrois et dans la Marne : Vitry-le-François, Sainte-Menehould, etc…, son régiment, à son tour décimé, il fut muté, une fois encore, au 147ème R.I. en position sur l’aile droite de Verdun. Mais le 27 mai, lors du déclenchement de l’attaque allemande contre Noyon et Reims (croquis ci-dessous) et plus particulièrement (et pour cause !) à la jonction des armées franco-anglaises, cette unité – et d’autres – a été transférée en catastrophe, par fer, camions, marches forcées, jusqu’à Coincy, à 6 kms au sud de Fère-en-Tardenois (Aisne) afin de tenter de colmater la brèche ouverte à cet endroit, qui, s’élargissant au nord, prenait la forme d’un triangle inversé dont la pointe sud a atteint Château-Thierry à mi-juillet suivant, notamment à Bois-Belleau (près Montreuil-aux-Lions) où ce sont les troupes américaines et canadiennes qui ont stoppé la seconde avancée allemande sur Paris, reconquis le terrain perdu dans toute son étendue et refoulé l’ensemble du front jusqu’au début de novembre 1918.
(Lors de ces combats, par nuit claire et limpide, de la fenêtre du 1er étage, sur rue, du 9 rue Bethléem où, comme en septembre 1914, nous nous tenions prêts à évacuer, nous voyions vers l’est, à notre droite, le fond du ciel rubescent , empourpré de lueurs mouvantes et entendions distinctement un sourd grondement ininterrompu).
C’est le surlendemain de la percée allemande, le 29 mai, à l’avant-veille de sa 22ème année, qu’il a trouvé la mort dans les circonstances rapportées dans la deuxième partie de ce récit.