Histoire imaginée autour de faits réels

Eugène Mazeron et deux de ses fils Gérard et Eugène

Assises autour de leur grand-père Eugène Mazeron, quelques unes de ses petites filles : Sylviane, Annie, Dominique, Odile, Claudine, Annick, Ghislaine, Sophie……….entourées de leurs parents Denise, Jeannette, Lucien, Georgette …

Dis grand père t’as fait quoi pendant la guerre ?

De sa voie douce et calme, il commença par répondre :

  • « Mes petites filles, la guerre ça ne se raconte pas ! Je ne vous souhaite qu’une chose, c’est de ne jamais la connaître. »

Et oui, le grand-père parla très peu de la guerre, de ce qu’il avait vécu et ce qu’il avait fait dans la Résistance. Et la guerre, il connaissait…Né en août 1904, il avait dix ans quand la Première Guerre mondiale éclata (1914/1918). Son père Eugène Jules, mobilisé dès mars 1915 au 1er régiment de Zouaves, combattu les allemands pendant un an dans l’est de la France, avant d’être détaché du corps pour myopie sévère et affecté à la poudrerie militaire de Bouchet en Seine-et-Oise. Il ne rentra chez lui, à Saint-Ouen (Seine), qu’en février 1919, lorsqu’il fut démobilisé.

Notre grand-père Eugène était ouvrier, étalagiste-vitrier. Dans l’effervescence du monde ouvrier des années 1920, il s’engagea très jeune au Parti Communiste Français, « tendance » anarcho-syndicaliste, très anticlérical. Il sera militant et engagé toute sa vie jusqu’à sa mort en juillet 1973.

Quand survint la Seconde Guerre mondiale (1939/1945), il était marié et père de sept enfants (Jeannette, Denise, Lucien, Eugène, Gérard, Georgette, Émile). Son huitième enfant, Jean, naîtra à la fin de la guerre et deviendra très tôt orphelin de mère. En effet, Henriette Cottin son épouse mourut en décembre 1945. « Si les antibiotiques et la pénicilline avaient été démocratisés et si nous avions eu les moyens, Maman ne serait pas morte fin décembre 1945 » disait Lucien.

Henriette Cottin

  • « Oh vous savez, j’ai participé très modestement à quelques actions de la Résistance. C’était bien normal…… »

Denise, Jeannette et Lucien (ses ainées) interviennent !

« Papa tu exagères !! Tu nous faisais porter des documents, des tracts. On se souvient être partis à l’école avec des tracts cachés dans nos galoches et dans nos cartables. Bon, on ne savait pas très bien pourquoi mais ça nous tenait chaud aux pieds. Et nous respections tes consignes. Motus et bouche cousue. ». Et Jeannette de se souvenir qu’elle avait glissé quelques tracts dans les pupitres des écoliers. Quand la directrice de l’école s’en est aperçue, elle a réuni les élèves pour que le coupable se dénonce. Elle ne le sut jamais.

Et Lucien d’ajouter : « tu partais des nuits entières, nous laissant seuls avec Maman dans notre petite maison. Il faisait très froid la nuit. Le matin au réveil, il y avait du givre aux fenêtres, côté intérieur. On se serrait très fort, tous dans le même lit. On avait faim. »  Il faut dire que très souvent le poêle à bois servait de cachette pour la propagande de la Résistance……

Et Denise de se souvenir : « Quand tu partais distribuer les tracts de propagande anti allemands et les journaux l’Humanité, on te voyait les cacher dans la doublure de ton manteau. Et si tu te sentais surveiller ou filer par les allemands ou les policiers français, tu sautais de bus en bus pour les semer. »

Cette petite maison en bois, 15, sente de la Place Saint Martin dans le quartier de la Boissière à Noisy-le-Sec (Seine) subira les effets du bombardement d’août 1944 à Noisy-le-Sec (Seine). Elle n’avait pratiquement plus de toit ! Les Alliés avaient pour mission de viser la gare de Noisy-le-Sec mais ils ont commencé à larguer des bombes dès la place Carnot à Romainville et ont arrosé largement le centre de Noisy et ses quartiers périphériques……

(Photo familiale : la petite maison à la Boissière, Eugène Mazeron et ses enfants)

La lutte contre le fascisme, les idéaux internationalistes et humanistes ont été les combats permanents du grand-père Eugène. Dès 1936 il s’engagea dans les Brigades Internationales pour combattre aux côtés des Républicains espagnoles pendant la guerre civile en Espagne.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Eugène Mazeron était agent de liaison, chef du 6ème groupe FTPF de Noisy-le-Sec (Seine), secteur Est. Il a servi sous les ordres du Lieutenant Lucien Gomot, en qualité de sergent, agent de liaison dans les FFI et participa à des combats place de la mairie à Noisy-le-Sec (Seine) pendant l’été 1944 et aux sabotages de voies ferrées.

  • « Oh vous savez j’ai toujours milité pour la paix et le respect des valeurs humanistes. C’était bien normal de combattre les boches par des actions intérieures. Et puis de nature discret et modeste, être agent de liaison me convenait. »

Ses ainés : « tu sais Papa, on a souvent eu peur ! Mais ça nous a fait grandir très vite et peut-être forger notre caractère combatif ».

Et Jeannette et Denise de rire soudainement pour évoquer une lessive bien particulière. « Tu te souviens ! Suite à de rumeurs de dénonciation qui faisaient trembler Maman, il a fallu cacher tous les documents compromettants se trouvant dans la maison ! On a tout rassemblé et tout placé dans une grande bassine remplie d’eau avec du linge. Cela ressemblait à la préparation d’une lessive. Hop ! ni vu ni connu. Si on les avait brûlés cela aurait trop attirer l’attention des voisins. »

Et Lucien d’ajouter : « Et quand les allemands sont passés devant la maison. On jouait dans la cour, avec les frangins. Deux jeunes Schleus se sont arrêtés pour nous regarder. On a eu très peur. Maman était dans la cuisine, totalement figée. Elle craignait qu’ils rentrent dans la maison et découvre les tracts du Père. !!! »

(Photo familiale : deux petits Mazeron jouant dans la cour)

Le grand-père Eugène a toujours essayé de protéger sa famille. A la fin de la guerre, les allemands avaient installé des canons au pied de la colline, très proche de la maison. Craignant de se faire prendre, le grand-père s’est caché et n’est pas rentré chez lui pendant plusieurs semaines.

Et t’as aussi participé aux Brigades Internationales en Espagne ?

La guerre civile en Espagne (1936/1938) opposa les républicains (gauche et extrême gauche) qui soutenaient le « Frente popular » légalement établi et les putschistes nationalistes (droite et extrême droite) menés par le général Franco. Un élan international de soutien aux républicains espagnols s’organisa et des milliers d’ouvriers du monde entier s’engagèrent dans des Brigades Internationales pour combattre en Espagne. Tous volontaires antifascistes.

« Un soir du dernier trimestre 1936, j’ai participé à un meeting du Parti (PCF) à Paris. Nous étions plusieurs milliers à écouter nos dirigeants nous exhorter à s’engager auprès de nos camarades espagnols. Quel enthousiasme, quelle ferveur et quelle envie d’agir. Je suis rentré à la maison, rue Sente saint Martin à Noisy et j’ai dis à Henriette : « Je pars en Espagne ».

« Nous voulions agir vite, le fascisme s’installait aux portes de l’Europe.
Nous fûmes plusieurs milliers d’ouvriers dont 9000 français à partir en Espagne…

Comme j’étais déjà père de 6 enfants, le Parti a décidé de me mettre aux effectifs arrière. Je n’ai pas participé aux combats à Barcelone mais je faisais office d’ambulancier. Je transportais mes camarades blessés vers les hôpitaux de la ville. »

Manifestation quartier de la Boissière – année ?

Et Lucien de conclure avec beaucoup d’émotion. « Tu nous a laissés seuls avec Maman. Et c’est pour cela que sur son lit de mort, j’avais 15 ans, Maman m’a fait promettre de ne jamais laisser ma petite famille pour la grande ». Ses filles d’ajouter en cœur : « Papa combien de fois tu nous as dit, on n’a qu’une mère et on la respecte ! ».

Après la guerre, la vie reprit. Il fallait reconstruire le pays et les héros ordinaires comme notre grand-père Eugène « oublièrent » ou ne voulurent pas raconter ce qu’ils avaient fait ou vécu.
Nous aurions tant envie aujourd’hui de l’écouter…

Dans son dossier de Résistant au Ministère des armées et des anciens combattants, il est écrit qu’il ne constitua pas de dossier pour solliciter aide ou décoration….

Aussi ce petit texte, en sa mémoire, écrit avec les souvenirs racontés dans la famille, veut lui rendre un hommage sincère et émouvant, même si sa modestie dût en souffrir.

 

Écrit par Odile Mazeron
12 février 2025.