Point de départ une tombe du cimetière ancien qui surprend par sa dimension et son allure. Elle est située le long du mur mitoyen avec le réseau ferroviaire, emplacement section A n°111b.
A qui appartient cette tombe ?
Les registres, détenu au cimetière nouveau, nous apprennent qu’il s’agit de la sépulture de Eugénie Saulgeot, née le 13 juillet 1812 à Paris 7ème et décédée le 14 juillet 1848 à Chauvry dans le Val d’Oise. Elle avait 36 ans.
Pourquoi décédée dans le Val d’Oise est-elle enterrée à l’ancien cimetière ?
Eugénie Saulgeot avait épousé le 15 septembre 1832, à 23 ans, Pierre Adolphe Bizouard, âgé de 31 ans, un nom qui nous dit quelque chose….
Pierre Adolphe Bizouard est né à Paris le 13 juillet 1804 à Paris 3ème (les deux époux pouvaient souhaiter leur anniversaire ensemble !). Sa famille est originaire de Saône et Loire.
Il est notaire à Noisy-le-Sec du 14 août 1832 au 31 janvier 1846. Notable, il entre au Conseil Municipal en 1835 et devient maire de Noisy de 1843 à 1848. Il démissionnera après l’abdication de Louis Philippe.
La signature de Maître Bizouard, suivie, à droite, d’une « ruche ». Un terme de paléographie, qui recouvre ce motif souvent décoratif, très personnel à chaque exécutant. La ruche permettait de se distinguer, d’affirmer son habileté à l’écriture tout en certifiant l’authenticité de l’acte, du fait surtout de sa grande difficulté à la reproduire !
Le couple à 6 enfants :
- Charles Marie en 1834
- Anne-Marie Eugénie en 1835
- Emilie Marie Eugénie en 1837
- Marie Louise Eugénie en 1841
- Emile Marie en 1842
- François Marie Léon en 1844
Sa mandature est marquée par l’édification de la première mairie de Noisy-le-Sec en 1847 (architecte Lequeux) et l’arrivée du chemin de fer (ligne Paris-Meaux) en 1846.
Intéressons-nous au monument funéraire.
Lorsque Bizouard achète cette concession perpétuelle le 26 décembre 1848, il réside au 25 de la rue du Goulet. (emplacement de l’actuelle opération immobilière Les Jardins d’Anatole en montant vers la place Carnot côté gauche). Cette sépulture est destinée à « sa famille et particulièrement son épouse … à côté du lieu où reposent les restes mortels de ses enfants »
Cette dernière mention nous entraine à enquêter sur les sépultures alentours. Au A n°111 se trouve deux petites tombes mitoyennes à l’allure beaucoup plus modeste. Il s’agit des sépultures de ses deux filles Anne-Marie Eugénie décédée à Noisy le 18 mai 1837 (2 ans) et de Emilie Marie Eugénie décédée également à Noisy le 7 mars 1840 (3 ans) .
A cette époque beaucoup d’enfants mouraient en bas âge. Nous ne connaissons pas la cause du décès des 2 fillettes. Les temps étaient difficiles, en 1832-33, la France avait été touchée par une épidémie de choléra qui fit plus de 100 000 morts en 6 mois. C’est à cette époque que le conseil municipal avait décidé la plantation d’arbres dans l’ancien cimetière « pour assainir l’air ».
Les tombes sont situées dans la partie originelle de l’ancien cimetière qui date de 1826 (la première extension est de 1860).
Du premier caveau (celui des fillettes) , acheté le 17 août 1847, il ne reste presque rien. Où étaient les corps auparavant ???
Le deuxième caveau, celui de sa femme, est d’une architecture funéraire très intéressante quoiqu’en fort mauvais état. Epargné par le bombardement du 18 avril 1944, il est à l’abandon. Le monument est imposant. Sans doute, Adolphe Bizouard a t-il imaginer qu’il reposerait aux côtés de sa femme. Il n’en est rien. Il est décédé à Paris 7ème en 1871 durant le siège et nous ne savons où il a été enterré (pour mémoire durant le conflit de 1870-1871 le village avait été évacué et la population était réfugiée à Paris). Aucun autre membre de la famille n’occupe le caveau.
Maire et notaire, Adolphe Bizouard devait laisser un édifice donnant des informations sur sa vie, son action, sa personnalité et la perception que ses contemporains avaient de lui ou l’image qu’il souhaitait laisser de lui aux générations futures.
Il s’agit d’un carré de 2m X2m comprenant un mur de fond, deux murs latéraux parallèles et le quatrième côté est fermé par une grille dont il ne reste qu’un seul élément en place.
La grande stèle murale au fond est couronnée d’un toit à la grecque qui fait penser à un autel. La partie centrale devait comprend une plaque en marbre gravée. Les deux parties de gauche laissent deviner des écritures devenues indéchiffrables.
Les deux murs latéraux aujourd’hui affaissés laissent voir un texte en latin…
« Qui aura cru en moi, même mort, vivra ».
Symbolique funéraire :
- les couronnes : le cercle sans début ni fin est une figure représentant la perfection, la roue du temps, l’éternité. Elles sont constituées de pavot (sommeil éternel)
- la clôture en fer forgé correspond à la notion ancestrale de séparation de l’espace sacré du monde profane.
- la palmette, souvent décorative, elle peut être associée à l’olivier qui symbolise la paix et le pardon.
Marie Jo Gladieux, Anne-Marie Winkopp