De la Bonneville à Valexy, chronique de la fin d’une usine.

En complément de l’histoire de l’usine Vallourec qui vus a été présenté le mois dernier par Chantal, je peux apporter quelques précisions sur les dernières années de l’entreprise grâce aux bulletins des retraités destinés à garder des liens entre les anciens de l’usine et qui ont paru, de façon tout à fait artisanale d’avril 181 à la fin de juillet 1987, année de la fermeture définitive.

Paraissant deux fois dans l’année , ils racontent la lente destruction de la production industrielle et le côté humain, vu du côté syndical.

Le 1er octobre 1980, la fusion des secteurs « minces » (tubes) et gaz de Vallourec avec les tubes de Providence aboutit à une entreprise nouvelle, Valexy, filiale de Vallourec (60% du capital).

Il y a désormais deux entreprises sur le site de Noisy.

  • Valexy qui fabrique des tubes minces t des tubes gaz ainsi que de la mécanique générale. Elle conserve tous les services administratifs , les magasins généraux, le gardiennage, les services médicaux et sociaux. Elle compte alors 567 salariés dont 426 ouvriers.
  • Vallourec produit principalement des tubes inox. A noter qu’elle conserve le bureau des dessinateurs (9 en tout) qui travaillent pour l’ensemble de l’entreprise Vallourec au niveau français. Elle compte 68 ouvriers.

Cela a pour conséquence qu’il y a désormais 2 comités d’établissement et deux délégations de personnel, leurs membres ne pouvant pas intervenir dans l’autre entreprise. Même les déplacements d’une usine à l’autre sont réglementés.

Très vite la rupture est réelle car les augmentations de salaires diffèrent et n’interviennent pas au même moment.

Au niveau syndical, la CFDT est intégrée à la CGT faute d’assez de militants, ce qui se fait facilement car il existe une excellente unité d’action.

Nous sommes passés de 1 350 employés à Lorraine-Escaut à 662.

En 1980, Vallourec prévoit 16 licenciements (principalement des pré retraites pour les + de 56 ans et 8 mois) et 23 mutations soit vers l’usine de Persan-Beaumont soit Valexy Noisy. L’inspection du travail donne son accord au plan. 3 salariés seulement partiront à Persan-Beaumont.

De son côté, Valexy prononce 19 licenciements pour raison économique, essentiellement des pré-retraites qui seront effectives.

Ouvriers de l’entreprise Vallourec

En décembre 1980, la station d’épuration est victime d’un incendie pour une raison inconnue. Elle est totalement détruite et inutilisable. Elle avait du être construite pour se mettre en règle avec la loi, car en raison surtout des décapages, l’usine rejetait des eaux très polluantes. Au moment de l’incendie, les décapages sont supprimés mais Vallourec continue à rejeter des eaux gorgées d’acides. Les délégués d’entrepises réclament la reconstruction d’une petite station d’épuration. Le directeur M. Dejussieu, leur répond qu’en rejetant les acides délayés dans le double d’eau, on ne dépassait pas la teneur d’acide autorisée par la loi ! La solution est adoptée malgré le désaccord des syndicats parce que moins couteuse…

Autre anecdote : pour chauffer ses bains, Vallourec emploie été comme hiver une grosse chaudière. N’ayant plus de décapage, l’utilisation de cette grosse machine devient inutile c art très couteuse. Vallourec saute alors sur une « bonne occasion », une petite chaudière allemande en très bon état. Seule problème, les services administratifs refusent l’autorisation d mie en service, motif : elle est d’origine allemande ! IL faudrait arriver à la revendre hors de France. L’histoire ne dit pas si ils ont réussi, mais en tout cas quel gâchis !

En 1981, on note le passage aux 39h qui demandent une réorganisation des postes de travail. Il est signé l’engagement d’embaucher 9personnes. La 5ème semaine de congés payés est accordée suivant la possibilité des services et non au gré des salariés.
Elle ne pourra être accolée au congé principal sauf pour les Maghrébins, les ressortissants d’Afrique noire et d’Asie ou hors congé en juillet-août.

Fin 1982, les licenciements continuent : 12 travailleurs âgés chez Vallourec +25 autres qui se voient proposer des mutations presque toujours avec perte de salaire et risque de licenciement en cas de refus.

Côté Valexy, 58 licenciements chez les plus âgés de 58 ans qui seront désormais considérés comme chômeurs ou demandeurs d’emploi jusqu’à 60 ans, donc astreints à la recherche d’un emploi.

Au printemps 1983, Vallourec Noisy vit ses derniers jours avec l’arrêt progressif des installations et opération de reclassement des 33 travailleurs restants.

Arrêt définitif en mai-juin et dispersion du matériel.

Ne restent que 7 dessinateurs rattachés au siège. Les licenciés sont pour certains mutés à Valexy ou d’autres filiales. D’autres choisissent la prime d’incitation au départ. 12 cas restent en suspend. Un certain nombre d’émigrés choisissent le retour au pays mais 5 d’entre eux sont licenciés et auront les plus grandes difficultés à se reclasser.
Je cite : « Le bâtiment ABC qui abritait l’activité inox, que l’on a connu grouillant de vie ressemble maintenant à un cadavre. Valexy récupère une partie de l’outillage, le reste part à la ferraille. Quelle pitié ! Le grand hall est mis en vente. On pense alors que le grand bâtiment de la rue Saint Denis qui abritait les services du personnel , pourrit devenir un super marché ou quelque chose de ce genre ».

L’entrée de Valexy et les services recentrés sont transférés sur l’avenue de Bobigny.

Le grand Vallourec a aussi de séreuses difficultés, avec mise au chômage partiel de 1 250 salariés (sur 14 250) dans l’ensemble des établissements. Les actions sont en chute.
A Noisy, il est décidé 3 jours de chômage technique en octobre pour Valexy. Vallourec, actionnaire majoritaire de Valexy avec 64% du capital, retire ses billes, menaçant Valexy d’un dépôt de bilan.

Usinor, actionnaire minoritaire voudrait poursuivre l’activité des petits tubes soudés, mais elle ne peut pas supporter seule le renflouement de l’entreprise de 320 millions e francs sur 4 ans.

Un administrateur provisoire est nommé.

En mai 1984 il reste 380 salariés qui gardent un bon niveau d’activité mais la menace du dépôt de bilan subsiste.

En 1985, la situation est de plus en plus préoccupante. Noisy tourne désormais au ralenti. L’arrêt total de la machine D qui fabriquait à chaud des tubes de gaz est définitif en juin. Cela vient après la disparition de l’étirage, de l’émaillage, de la galvanisation, de four à recuire.
La direction annonce un sureffectif de 50 à 115 personnes, ce qui laisse entrevoir de nombreux licenciements.

Les retraités sont aussi inquiets : la disparition de Valexy Noisy signifierait la fin des sorties, repas de fin d’année, mutuelle… et aussi la fin de la Gazette.

En 1986, la casse de 2 nouvelles machines fait tomber l’effectif à 240 personnes. La direction se dit pourtant motivée à vouloir sauver l’usine par tous les moyens parmi lesquels la remise en cause des avantages sociaux pour les retraités, en particulier le paiement de la mutuelle. En effet , déclare t-elle, il n’est pas normal de consacrer des sommes importantes pour les retraités puisqu’ils ne rapportent plus rien à la société Valexy !

L’ambiance au travail est très mauvaise, avec un certain nombre de jours de chômage technique, touchant plus durement les ouvriers de production, pourtant les moins payés.
En octobre, un nouveau PDG, Michel Benoist, à la tête de Valexy, décide de nouvelles orientations au niveau national 2 établissements sont fermés à Besseges et Blanc-Mesnil. Sedan, Decazeville et Maubeuge doivent l’être à leur tour.

Noisy s’attend au pire : la vocation qui lui avait été attribuée, négoce et production de tubes courant grande série est déclarée non rentable par le nouveau PDG. Pas de doute que ce choix n’ait été fait dans le but de liquider l’usine. Effectivement, la fermeture totale et définitive est décidée en février 1987pour la fin de l’année. Les dernières fabrications cessent fin juin.

Ainsi s’achève l’histoire d’une usine vieille de 75 ans.

Je cite : « Dans une usine désertée, il ne reste plus actuellement que quelques dizaines de membres du personnel, polyvalents, occupés à liquider les affaires courantes (machines, stocks, archives, etc). Leur départ s’échelonnera jusqu’en fin d’année aux conditions légales de retraies, pré-retraites , licenciements, etc, autant de cas d’espèce.

Aucune solution n’est encore à ma connaissance intervenue pour la cession des bâtiments a un éventuel repreneur. Il est donc probable que, sauf fait nouveau, il ne restera plus en 1988, de l’usine Vallourec-Valexy, où nous avons les uns et les autres plus ou moins longtemps travaillé, que des bâtiments vides qui, déjà, se dégradent rapidement, faute d’entretien. »

En fait la municipalité de l’époque va créer en 1991 sur le site, la zone d’activité du « Terminal » en attribuant une vingtaine de lots à de petites et moyennes entreprises industrielles et commerciales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« La gazette des anciens » prend fin au même moment. Elle avait été le lien entre de nombreux retraités.

Outre des nouvelles de l’usine , on y retrouvait des conseils pratiques des chroniques sociales ou juridiques et une nécrologie, hélas bien fournie (de 10 à 15 personnes tous les 6 mois, actifs, retraités ou conjoints).

Plus gai, étaient évoqués les repas de fin d’année et la sortie annuelle. Une importante partie était consacrée au courrier des anciens donnant de leurs nouvelles et qui ne dédaignaient pas de publier quelques poèmes de leur cru. Un lien qui va disparaître à jamais.

Je pense que cette chronique de la fin d’une usine est assez représentative du déclin de l’ère industrielle, particulièrement métallurgique en France et de la fin d’une certaine époque qui cependant résonne aujourd’hui encore avec toujours autant d’actualité.

Paule Bergé