L’octroi est une contribution indirecte perçue par les municipalités à l’importation des marchandises sur leur territoire pour la consommation locale. Ce terme désigne aussi l’administration elle-même chargée de prélever cette taxe à chaque porte de la ville grâce à des « barrières » où sont installés les bureaux.
On trouve des octrois dès l’Antiquité puis au Moyen Age mais surtout sous l’Ancien Régime. En 1681,Colbert établit ce que l’on appelle « La Ferme Générale » représentée par 40 Fermiers Généraux chargés de recouvrer des impôts indirects pour l’État. En 1780, 60 barrières sont établies aux entrées des villes et sur les routes principales. Mais comme il y a beaucoup de fraude, il est décidé en 1784 de bâtir un mur d’enceinte avec des barrières. C’est Claude-Nicolas Ledoux qui est chargé de le concevoir. Ce « Mur des Fermiers Généraux » enferme le Paris de l’époque, excluant les gros villages formant une couronne autour de la ville: Les Batignoles, Clichy, Montmartre, La Chapelle, Belleville, Charonne, Bercy, Vaugirard, Grenelle, Auteuil, et L’Etoile.
Le tracé du mur des Fermiers généraux par Aristide-Michel Perrot (source wikipédia)
Barrière de Chartres, rotonde du parc Monceau (source wikipédia)
Pendant la Révolution, à la suite de manifestations de mécontentement du peuple de Paris, l’octroi est supprimé en 1791 puis rétabli en 1798.
Depuis la révolution de 1830, le gouvernement qui envisage d’améliorer la défense de Paris accepte, en 1842, la proposition d’Adolphe Thiers de construire un très grand mur d’enceinte englobant, cette fois, les gros villages de la couronne parisienne. C’est ainsi qu’en 1844 naissent les Fortifications -appelées familièrement les fortifs- composées de 95 bastions, 17 portes, 23 barrières d’octroi et qui vont jusqu’aux boulevards des Maréchaux. Cette enceinte fonctionnera jusqu’en 1919, date à laquelle elle sera déclassée puis détruite progressivement jusqu’en 1929. C’est en 1859 que le mur des Fermiers Généraux est démoli et en 1860 que les villages et Paris sont réunis en 20 arrondissements comme nous les connaissons aujourd’hui.
Carte du département de la Seine en 1852 indiquant notamment l’enceinte de Thiers et la première ceinture de 16 forts
source wikipédia
Que se passe-t-il à Noisy-le-Sec ?
Au début du XIXe siècle, la ville profite de la venue de Parisiens en quête de calme, de verdure et de dégustation de boissons à meilleur prix qu’à Paris -n’étant pas encore taxées. Mais cela ne contribue pas suffisamment à l’augmentation des maigres ressources de la ville qui, ne disposant pas de biens propres, n’a que le reversement des centimes additionnels par l’État ; soit 648 fr. par exemple en 1805 pour 1.300 habitants. C’est le moment d’expliquer ce que sont ces centimes additionnels.
Il faut remonter à la Révolution qui a créé une nouvelle fiscalité : « les 4 Vieilles ». Il s’agit pour l’État de percevoir des contributions directes à partir desquelles sont reversés des centimes additionnels aux collectivités locales qui en fixent le montant lors d’assemblées. Il y a 4 catégories de contributions :
-la contribution foncière.
-la contribution personnelle mobilière.
-la patente .
-des impôts sur les portes et fenêtres.
En 1820, un octroi de banlieue est créé qui reverse une part aux communes concernées ; pour Noisy, cette année-là ce sera 240fr. s’ajoutant donc aux centimes additionnels. Mais la ville se développe et il lui faut d’autres ressources et ainsi en1866, à l’instar des communes avoisinantes, le conseil municipal vote la création d’un octroi communal qui sera validé en 1868 par le Préfet de la Seine.
Les denrées concernées sont :
-les vins, alcools eaux-de-vie…
-bières, vinaigres.
-boeufs, vaches, moutons et viandes fraîches.
-huile / plâtre.
Dès le début, des habitants poussés par des opposants à la municipalité ont attaqué et brûlé le bureau d’octroi de la place Jeanne d’Arc. Le résultat fut la démission du maire mais le bureau fut simplement déplacé. Les principaux lieux d’octroi se situaient :
-1 rue de la Forge (Jean Jaurès).
-rue de la Gare.
-rue de Pantin (P.V Couturier).
Plan du bureau d’octroi rue de Pantin.
-route de Villemomble.
Sur la gauche, le bureau d’octroi à la Fourche de Noisy.
-rue du Goulet en commun avec Romainville.
Les bureaux sont ouverts tous les jours de 8h. À 18h. Au début, il y a 7 employés puis plus tard 10 : un receveur principal et des commis. En 1906, par exemple, ils sont payés 835fr.mensuels. Les bâtiments sont très simples : en bois ou en briquettes rouges de plain-pied, comprenant un bureau, des toilettes et un local à vélos. Quelquefois, les bureaux sont à l’intérieur des mairies ou dans une demeure bourgeoise comme au 1 rue de la Forge.
1 rue de la Forge, à gauche de la photo, sur le pilastre on peut lire « Octroi ».
Reprenons les chiffres de 1805 et comparons les à ceux de 1905, un siècle plus tard pour 10.000 habitants (au lieu de 1.3000h.):
En 1905 :
-3.000fr. De centimes additionnels. (648 fr. en 1805)
-24.000fr.de l’octroi de banlieue. (240 fr. en 1820)
-85.000fr.de l’octroi communal.
+diverses taxes,
Au total, Noisy dispose alors de 140.000fr.Toutefois, les chiffres de l’octroi communal sont bruts; il faut retirer 10.000fr de frais de fonctionnement et 800fr. de participation à l’octroi commun avec Romainville.
1906, registre des dépenses en personnel
Depuis 1868, la liste des denrées taxées s’est développée, détaillons-la ,elle comporte 6 grandes catégories:
-Les boissons : vins en bouteille, cidres, alcools, liqueurs, limonades, vinaigres (et conserves), huile.
-Les comestibles : boeufs, porcs, vaches, chèvres (et leurs petits), viandes dépecées, salaisons, lièvres, faisans, chevreuils, lapins de garenne, huîtres.
-Les combustibles : bois, fagots, huile de chauffage.
-Les fourrages: avoine, maïs ,orge.
-Les matériaux de construction : plâtre, dalles, chaux, ciment, pierre de taille, marbre, granit, fer et bois de charpente
-divers: les verres à vitre et les vernis.
A cela, s’ajoutent quelques impôts directs et les centimes additionnels qui en découlent :
-une licence municipale sur les débits de boissons.
-sur les chevaux et les voitures.
-sur les clubs, les tables de billard, les chiens.
Tarif en vigueur en 1917.
Les « 4 Vieilles » en tant qu’impôts directs d’État disparaissent en 1914, reversés aux municipalités, de son côté l’État réfléchit à un impôt sur le revenu. Les centimes additionnels subsistent sur la base d’un impôt principal fictif.
Il y a souvent eu des oppositions à l’octroi à Noisy comme ailleurs, mais en fait c’est ce qui est pour une commune d’un rapport plus régulier, plus rapide et plus efficace que les centimes additionnels que l’État reversait par période. L’opposition municipale de Noisy accuse en 1926, l’octroi de rendre plus cher le coût de la vie ; avec chiffres à l’appui le maire a démontré que la ville était au 5e rang la moins chère avec 52fr. de charges par habitant sur une douzaine de communes du secteur, le maximum étant Saint-Denis avec 140fr. de taxes par habitant.
Les rapports de l’octroi n’ont cessé d’augmenter permettant ainsi à Noisy de se développer: avec l’activité ferroviaire, les nouvelles usines qui d’ailleurs participent à la hauteur de 1/4 du produit de l’octroi. Les rapports nets sont : en 1913, de165.000fr./en 1920, de198.000fr. /en 1924, de 313.000fr./en 1932, de 855.000 fr.
En 1934, un syndicat unique d’Octroi du département de la Seine est créé, avec 8 régions : Noisy appartient à la 4e dont les bureaux siègent au 7 rue Frépillon.
Pendant la IIe guerre mondiale, l’activité économique décroissant fortement à Noisy, l’octroi est supprimé en 1943 et en 1948 pour toute la France.
Aujourd’hui, les octrois tendent à disparaître un peu partout sauf dans des régions d’Outre-mer. Le système d’imposition des centimes additionnels a perduré jusqu’à la réforme fiscale de 1975 avec les taxes (foncière, d’habitation, professionnelle) que nous connaissons aujourd’hui.
Certains édifices d’octroi subsistent à Paris notamment : Barrière du Trône, celle de la Villette, du Parc Monceau et les deux de Denfert-Rochereau. N’oublions pas aussi qu’un célèbre peintre fut un employé de l’Octroi de Paris pendant des années : le Douanier Rousseau.
Barrière d’Enfer, place Denfert-Rochereau à Paris
Marie Jo Gladieux