Ce mardi 18 avril 1944, il faisait très beau, le ciel était dégagé. Cette nuit là, Noisy-le-Sec ne fut pas la seule gare de triage visée par les bombardements alliés. Juvisy, Athis-Mons, la ville cheminote de Tergnier dans l’Aisne ainsi que la gare de triage de Sotteville-lès-Rouen furent également écrasées sous un déluge de bombes.
Les communes voisines de Noisy subirent également des pertes humaines et matérielles importantes. Les avions alliés ont commencé à larguer leurs bombes bien en amont du territoire noiséen. Les villes de Montreuil, Pantin, Les Lilas, Bagnolet, Bobigny, Romainville, Bondy ont été lourdement touchées.
Nous donnerons successivement la parole à des représentants de ces villes meurtries.
Aujourd’hui nous accueillons un article de l’association Bondy son Chêne et ses Racines. Un grand merci à Daniel Lancien.
18 Avril 1944 : le second conflit mondial dure depuis 4 ans et demi (déclaration de guerre de l’Angleterre et de la France à l’Allemagne le 3 septembre 1939) et a pris une nouvelle tournure. Les alliés, anglais, américains et canadiens cherchent à désorganiser la logistique, en particulier ferroviaire, des forces allemandes, en France pour préparer le débarquement sur les côtes normandes qui surviendra … le 6 juin suivant, à la surprise de l’ennemi. C’est ainsi que les triages de Juvisy-sur-Orge, Villeneuve St Georges furent bombardés. Celui de Vaires-sur-Marne, un des plus importants de la banlieue Est subissait un énorme bombardement le 29 mars 1944. Dès lors la population de Noisy-le-Sec et des communes avoisinantes s’attendait à un bombardement du triage de Noisy d’autant que la radio de Londres avisait les maquisards de l’imminence de ce bombardement par des messages sibyllins du style : « les haricots verts ont été cueillis, les haricots secs seront bientôt écossés ». Les résistants cheminots avaient également, quelques heures avant, placé sur le terrain des feuilles de chêne dans le dépôt, signe d’un bombardement imminent. C’est pourquoi, dès la première alerte, les cheminots sont partis se réfugier en ville, le plus loin possible du dépôt, en montant vers Romainville. Après plusieurs alertes sans suite, le bombardement débuta vers 23h30 et fut d’une violence inouïe. Les installations ferroviaires, triage, dépôt, atelier sont largement endommagées. Malheureusement, le bombardement eut lieu selon une direction Sud-Ouest, Nord-Est, plutôt perpendiculaire au triage. Dans ces conditions, il était à peu près inévitable que la ville de Noisy-le-Sec soit très largement détruite d’autant que les avions alliés bombardaient de relativement haut pour éviter les obus de la FLAK (FLugAbvehrKanon), la DCA allemande. La scène était dantesque avec les fusées éclairantes lâchées par les bombardiers pour repérer le site et les tirs d’obus les visant. Pendant 25 minutes, une éternité, plusieurs centaines de forteresses volantes B17 alliées déversèrent plus de 3000 bombes, certaines à retardement, dont seules un tiers atteint les installations ferroviaires. A Noisy, il y eut 464 morts et 370 blessés graves parmi la population civile, et, enfin, 2000 maisons détruites.
Qu’en fut-il à Bondy ?
Bien que beaucoup moins touché que Noisy, Bondy n’a pas été totalement épargné par le bombardement comme s’en souviennent encore aujourd’hui les vieux habitants de la ville, nés au début des années 30. Le sentiment général qui prévaut est celui d’une grande peur : vacarme assourdissant, déflagrations, bombes explosant, tremblement des habitations, fenêtres brisées, toitures défoncées….. Et bien sûr, pour certaines habitations, destruction complète.
Quatre grandes zones subissent des bombardements et l’on relèvera 77 points de chutes de bombes :
- secteur Bondy-Sud autour de la rue Etienne Dolet, dans l’axe de la gare (carte ci-contre avec impacts en rouge),
- extrême Ouest de la ville, à la limite de Noisy, le long de l’avenue de Rosny jusqu’au-delà du canal de l’Ourcq,
- zone partant de la rue du Vieux Moulin et remontant jusqu’aux HBM (carte ci-contre avec impacts en rouge),
- secteur de la rue de Versailles à Bondy-Nord.
Quelques jours plus tard, après que les dernières bombes à retardement aient explosé ou aient été désamorcées, le bilan se monte à 27 morts (dont 11 étrangers à la commune) et 37 blessés graves. Matériellement 44 maisons ou immeubles sont totalement détruits et d’autres plus ou moins gravement endommagés par les déflagrations brisant vitres et toitures, mobiliers et biens divers. Ainsi, 67 familles soit près de 200 personnes se retrouvent totalement sans abri. Au total, près de 600 dossiers de déclaration de sinistre furent déposés en mairie. Dans les années qui suivront, 49 habitations seront reconstruites. Les premiers secours s’organisent dès la nuit du 18 au 19 avril et bien sûr la journée du 19 avril avec une grande efficacité malgré l’ampleur des dégâts.
En fait, dès 1941, dans le cadre de la procédure de résistance passive les autorités municipales s’étaient préparées pour faire face à ces problèmes :
- Centres d’accueil et de secours prévus dans les groupes scolaires Mainguy, Pasteur, Ferry et Curie,
- 31 postes avancés répartis dans la ville (cafés, autres écoles, lieux publics….)
- 8 tranchées-abris couvertes de plaque de béton avaient été construites (place de l’hôtel de ville de l’époque, à l’endroit du monument aux morts actuel, rue des Bains –actuellement place du 8 mai 1945-, école Jules Ferry….)
- Une dizaine d’abris étaient répertoriés, avec des plans des caves, en particulier dans les immeubles, dont celles des HBM qui pouvait abriter plus de 1200 personnes
- Enfin, la ville était découpée en 20 ilots chacun ayant un « ilotier » à sa tête.
Immédiatement après le bombardement, cette organisation se met en place ce qui permet de dégager les blessés des décombres dans les meilleurs délais et de transporter les blessés dans des charrettes de marchands ou sur des brancards vers le dispensaire situé alors dans la cour des HBM (photo ci-après) d’où les plus gravement atteints sont dirigés vers les hôpitaux voisins, tel Valère Lefèbvre au Raincy ou à Paris, surtout à Saint-Louis.
Sans être un champ de ruines comme l’était Noisy, Bondy, le 19 avril au matin, présente un aspect chaotique. L’église St Pierre a des vitraux cassés, une partie de sa toiture et un portail soufflés. Trois bombes sont tombées sur les HBM (photos ci-dessous), dans la cour et au pied d’un immeuble qui aurait pu s’écrouler. Claude B., alors enfant, se souvient du trou dans la cour et de l’éclatement des fosses septiques. Robert G. reste marqué par les bombes tombées à Bondy-Sud et en particulier par celle qui tua son ami Larbi au 10 de l’Avenue de Belfort, mais aussi de plusieurs personnes, amies de ses parents, et qu’il connaissait bien. Les parents de Claire V. lui ont rapporté combien de rues étaient éventrées par les bombes entrainant des fuites d’eau importantes en particulier à l’angle des rue Gatine et Jules Guesde. François B, se souvient de la terreur qu’il éprouvait rue de Belfort dans l’abri de fortune confectionné par son père. Geneviève D, elle aussi était enfant en 1944 et, logeant aux HBM, est restée « marquée » par cette nuit d’épouvante et de ces vingt-cinq minutes de bombardements qui lui ont semblé durer une éternité. Enfin, pendant quelques jours, l’explosion des bombes à retardement a maintenu l’état de peur, telle celle qui détruisit le cœur de la chapelle Saint Louis où, quelques heures auparavant, ont amenait des blessés … Il y eu aussi des scènes d’explosion de bombes à retardement rue Baudin ou avenue de Rosny … racontent les parents de Claire V, qui se souviennent aussi des débris d’avions abattus par la FLAK.
Les morts bondynois ont été enterrés au cimetière municipal lors d’une cérémonie émouvante le 22 avril, en présence de l’Archidiacre Monseigneur Delouvrier.
Dans les jours qui ont suivi, la municipalité organisait le secours aux sans logis, distribuait des bons pour les réparations légères des bâtiments et approvisionnait des denrées, produits et ustensiles de première urgence en attendant les reconstructions. La vie reprenait le dessus …
Daniel Lancien avec l’aide des témoignages de Claire, Claude, François, Geneviève et Robert.
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Nous ajoutons un témoignage, celui de Jean-Marie Fourreaux, âgé aujourd’hui de 81 ans, il habitait Bondy au 135 avenue Carnot. Son père était chauffeur de locomotive au dépôt de Noisy. Voici son témoignage :
« De cette guerre, je ne me souviens pas avoir vu dans les rues un de ces quelconques occupants à l’exception du jour de la libération où je les ai vus de notre fenêtre fuyants, poursuivis par plusieurs maquisards lourdement armés. Par contre je me souviens fort bien du bombardement de Noisy-le-Sec le 18 avril 1944 De notre fenêtre de salle à manger au premier étage qui donnait en direction de Noisy le Sec, nous avons pu voir les chapelets de bombes qui tombaient éclairées par des fusées éclairantes, nous nous serions cru en plein jour, s’était tellement lumineux que les yeux en faisait mal.
Quelque temps après ce bombardement, mon père a rencontré des collègues qui étaient présents dans le dépôt SNCF de Noisy le Sec pendant le bombardement ; ils étaient cachés sous une locomotive de plus de 40 tonnes pour s’apercevoir à la fin du bombardement que cette locomotive et son tender avaient déraillé de ces 16 roues. Distants de quelques centimètres, ils ne s’étaient pas aperçu que la locomotive avait sauté des rails et bien sur déraillée, elle penchait d’au moins trente degrés.
Dés le levé du jour; ma mère et ma grand-mère sont allées à l’église Saint Louis, de l’autre côté de la gare de Bondy, pour prier comme beaucoup ce jour-là. Elles avaient constaté qu’une bombe avait partiellement endommagé le cœur de l’église. Rentrer à la maison, un gros boum ! s’est fait entendre. Nous ne le savions pas, mais les avions avaient déversé une grande quantité de bombes à retardement et ce n’est qu’environ douze heures après avoir été larguée que la bombe à explosé, détruisant complètement le cœur de cette église, là ou il avait quelques instant, bien des paroissiens étaient venu prier. . . . . . . . Revenons à cette guerre. Des la fin du bombardement de Noisy-le-Sec, nous sommes allés rendre visite aux amis qui habitaient cette ville afin de voir si ils n’avaient pas été touchés par le bombardement. Ils étaient saints et saufs, leurs maisons n’avait pas souffert, ils allaient tous très biens. Mais chez l’un d’entre eux, dans le jardin, la queue d’un avion était tombée entre le poulailler et la buanderie. Ils nous ont raconté que dés le jour levée leur curiosité les a fait se rapprocher de cette partie d’avions et d’y découvrir à l’intérieur le mitrailleur de queue malheureusement sans vie. A l’époque j’avais 8 ans, je puis vous dire que de tels récits ne peuvent qu’être gravés profondément dans votre mémoire.
D’autres anecdotes ont également été gravé dans ma petite tête, lorsque mon père nous racontait que son train y compris la locomotive était souvent mitraillé par les avions dans le secteur de Caen est principalement lorsqu’ils montaient la rampe juste avant le tunnel de LA MOTTE.( j’avoue que je n‘ai pas retrouvé ce tunnel sur les cartes de France l’orthographe de LAMOTTE peut ne pas être exacte) Tunnel dans lequel bien souvent il s’arrêtait en attendant la fin du mitraillage. A cette époque, mon père ne rentrait pas souvent à la maison en effet, sa locomotive tirait un wagon aménagé sommairement en dortoir et cuisine où deux équipes de mécaniciens et chauffeurs vivaient plusieurs semaines et se relayaient pour conduire les trains de la Bretagne aux Ardennes. A trois reprises, il est rentré à la maison profondément attristé, il venait de perdre un chauffeur mitraillé par ses avions qui essayaient d’empêcher les trains de monter sur les côtes de la Manche.
Quelques semaines plus tard, de notre fenêtre de cuisine donnant sur l’Est, nous avons vu les nuages de poussière qui provenaient des bombardements du triage SNCF située entre Vaires sur Marne et Chelles, située à vol d’oiseaux douzaine de kilomètres
La guerre devait prendre fin, les troupes américaines bivouaquaient un peu partout autour de Paris. Une de ses unités était installée à la périphérie de Bondy. Très rapidement les habitants se sont rapprochés de ces campements, les soldats américains, sachant que nous avions beaucoup souffert à cause des rationnements, ils nous offraient gâteaux, chewing-gum, boissons, boites de rations, et autres friandises, j’allais oublier ! Les cigarettes !
Ces soldats américains avaient intercepté un convoi qui devait partir en Allemagne chargée de trophées appartenant à la France et je me souviens qu’ils m’avaient donné un petit recueil de photos du château de Versailles. Ces soldats bienveillants alimentés uniquement avec des boîtes de rations nous quémandaient les légumes de notre jardin; légumes, fruits et œufs Un troc assez important s’est installé entre ses libérateurs et les habitants des environs.
Plusieurs mois après la fin de la guerre il n’était pas rare d’entendre de gros boum c’était encore une bombe à retardement qui pétait bien après la fin du conflit. Pendant cette période d’après-guerre, nous avons vu arriver depuis les Etats-Unis des petites maisons préfabriquées, pour certaine assez succinctes mais d’autres devaient nous étonner par une grande technique et d’une habitabilité étonnante. Elles ont rendu un grand service aux sinistrés de cette guerre. . . . . »
2 commentaires
DEBANT Michel says:
Oct 23, 2020
Née le11/02/1939 je me souvient du bombardement de la gare de NOISY le sec, avertie par les sirènes nous nous sommes réfugiés dans un abri en fasse de chez nous, nous habitions rue de Leningrad Bobigny je pleurai les projecteurs éclairai le ciel j’ai eu très peur une sirène nous a averti la fin du bombardement quand je suis sortie un éclat est tombé au ras de ma tête une bombe a retardement? je croie avoir eu de la chance?
Divaret Patrick says:
Avr 15, 2021
J’avais Quatre ans et demi et nous habitions à 100 mètres de la Place Carnot au centre de laquelle une bombe est tombée créant un cratère profond d’une dizaine de mètres. Nous n’avions pas de cave et nous sommes réfugiés à la porte de la maison donnant dans le garage. La rideau de fer du garage, en tôle ondulée, menaçait de rentrer à l’intérieur, poussé par le souffle des bombes et un épais nuage de poussière. Mon père nous a dit adieu, et nous a embrassés, ma mère et moi. Après, nous remontons à l’étage. Plus de fenêtres, mon lit d’enfant retourné. Une bombe a explosé plus tard à la maison d’en face, mais nous étions partis. Je me souviens de mon grand-père, arrivant de Montreuil en vélo, et en bretelles, faisant le tour du trou de bombe de la place Carnot et tellement heureux de nous revoir vivants ! Le cinéma Le Trianon où nous allions n’était plus qu’un tas de briques. J’ai appris avec stupeur que le bombardement s’était effectué en travers des voies ferrées, et les impacts des bombes au sol confirme ce fait. Cela et le fait de lâcher les bombes de très haut, montre le profond mépris des décideurs de telles actions vis à vis de la population. L’action des Résistants était bien plus efficace et moins dommageable aux voisins de la gare de triage. En 1948, un avion quadrimoteur passe juste au dessus de notre véranda au 133 Bld Barbusse à Montreuil et s’écrase 300 mètres plus loin. Le kérosène part dans les égouts, dont les plaques explosent les unes après les autres, en se rapprochant de chez nous. Traumatisé par le bombardement de Noisy, je me réfugie dans la cave où mes parents me retrouveront plusieurs heures plus tard. Le bombardement de Noisy a laissé des traces indélébiles chez les survivants !