Nous allons maintenant découvrir quelques aspects plus étonnants de la vie de l’abbé.
Lors du discours de son intronisation à la cure de Noisy-le-Sec, nous apprenons que l’abbé Fernique est Chevalier du Saint-Sépulcre. Qu’est-ce que la Chevalerie du Saint-Sépulcre ? La légende fait remonter cet ordre soit à Godefroy de Bouillon soit à Baudouin 1er (1100-1118). Ces chevaliers étaient chargés de la défense de la Basilique du Saint-Sépulcre de Jérusalem mais ils quittent la ville en 1187 et après la chute de Saint Jean d’Acre, s’organisent en ordres nationaux dans différents pays d’Europe. En 1496, le pape Alexandre VI institua définitivement l’ordre militaire pour honorer les personnes riches et nobles qui se rendaient en Palestine. En 1868, Pie IX promulgue une charte réorganisant l’Ordre. « Les hommes distingués seront encouragés à rendre les plus grands services à la religion dans les lieux de la Terre Sainte, et que tous ceux qui seront décorés de ces insignes ajouteront, par leur vertu, du lustre et de l’éclat à la dignité de l’Ordre ».
Alors, quelles sont les raisons pour lesquelles l’abbé Fernique a été décoré ? Certes, au moment de son arrivée à Noisy-le-Sec, il a déjà effectué deux pèlerinages en Terre Sainte. Même si à L’époque l’entreprise devait être longue et un peu aventureuse, est-ce suffisant pour être intronisé Chevalier ? En fait, on peut trouver deux raisons à cet honneur.
Voici la première : quand il se rend à Jérusalem, l’abbé Fernique ne se limite pas à aller prier dans les Lieux Saints. Il emmène dans ses bagages tout un matériel photographique. On se souvient tous comment fonctionnait la photographie à l’époque. Nous sommes (pour le premier pèlerinage) dans les années 1860. Le premier appareil photo portatif, ancêtre de nos appareils photo contemporains, n’apparaît qu’en 1889 (Kodak) et la pellicule photo souple qu’en 1890 (Eastman). Nous nous rappelons donc le volumineux appareil, posé sur une console ou un trépied, le drap sur la tête de l’opérateur, le temps de pose plus ou moins long…C’est avec ce genre de matériel que l’abbé Fernique va réaliser toute une série de photos de la Terre Sainte, sur des plaques de verre albuminées. Mieux, en 1884, il va inventer un perfectionnement à ce dispositif qui sera présenté par M. Gaillard dans le Bulletin de la Société Française de Photographie : il s’agit d’une mire, délimitée par des fils tendus, qui permet de visionner la scène que l’on veut photographier (l’ancêtre des écrans de contrôle, en quelque sorte !)
Bulletin de la Société française de photographie. Année 1884
M. BAYARD présente ensuite une mire pour épreuves instantanées, inventée par l’abbé FERNIQUE.C’est une sorte dliconomètre. Elle consiste en un cadre partagé en quatre portions égales par deux fils tendus, se croisant au centre à angle droit. Ces fils sont renfermés dans une sorte de boîte dont un des côtés est formé d’un verre à faces parallèles, l’autre par une lentille divergente. Cette mire est placée sur la chambre, grâce à la lentille divergente; la scène que l’on veut photographier est la même dans le cadre de la mire et sur la glace dépolie. On peut donc voir ou et comment sont placés les objets mobiles et choisir l`instant le plus propice pour faire jouer l’obturateur. La Société remercie M. Bayard de cette présentation.
L’abbé va donc ramener un grand nombre de plaques de verre où la photo imprimée en double ne va pas être imprimée sur carton, mais va pouvoir être projetée sur un écran avec un effet de relief (procédé de stéréo).
L’abbé Fernique ne va pas garder ses souvenirs pour lui. Dès 1869, il propose au curé de la paroisse de Saint-Séverin où il est alors vicaire, d’organiser des séances récréatives dans un but bien précis : « amuser les jeunes gens en les instruisant, grâce à des conférences avec projections ».
Prélevant sur son traitement, il va trouver la somme nécessaire pour construire «de ses mains» un appareil de projection et fait un essai devant les membres du conseil du patronage, qui est un succès. Des lors, il va organiser des séances dans différentes paroisses qui feront salle comble.
La guerre de 1870 va momentanément interrompre ces spectacles mais ils vont reprendre après le conflit. Un généreux sponsor fait l’acquisition d’un projecteur dernier modèle dont l’abbé pourra bénéficier à sa guise. Entre 1873 et 1877, ce n’est pas moins de soixante-dix conférences qui vont être proposées par l’abbé Fernique, à Paris, en banlieue et même en province (Le Havre, Rouen et Lyon). Il fera appel à différents intervenants sur des sujets comme Pompéi, Rome, les Alpes, le Pôle Nord, les planètes du système solaire.. Lui-même se réservera des thèmes comme l’isthme de Suez, Jérusalem, l’Italie, la Suisse, voyage à travers le monde et un « voyage dans le royaume des infiniment petits ou Dieu admirable dans les plus petites de ses œuvres… » .
Invité au congrès de Reims (à l’origine du catholicisme social) , il va y présenter un rapport et, le jour de la clôture, une séance devant les membres participants et il va avoir la satisfaction de voir se créer en province sept œuvres semblables.
Et à Noisy-le-Sec me direz-vous ?
Les paroissiens vont également profiter de ses conférences comme en témoigne cet article paru dans le journal « La Croix» daté du 5 Décembre 1898 (voir ci-dessous).
On peut penser que cette activité qui a contribué à faire connaître la Terre Sainte a pu jouer un rôle dans sa nomination de Chevalier du Saint-Sépulcre.
Mais, c’est plus sûrement sa grande implication dans l’organisation des pèlerinages en Terre Sainte dont il est le secrétaire, qui va lui valoir cette grande distinction.
Les discours qui émaillent l’évolution de son sacerdoce soulignent son inlassable dévouement à cette œuvre. Là encore, Noisy-le-Sec va en bénéficier puisqu’en 1890, dès le début de sa présence dans la ville, les paroissiens peuvent se procurer le tract ci-dessous. L’histoire ne dit pas combien de Noiséens ont tenté l’aventure…
En outre, l’abbé Fernique ne se contente pas d’être un bricoleur de génie. Il s’intéresse aussi aux sciences de la vie comme le prouvent sa conférence sur l’infiniment petit et sa fréquentation du Muséum d’histoire naturelle où figure, en 1889, dans le bilan des activités de l’année, son article à propos de divers points sur la structure des plantes.
Toute sa vie, l’abbé Fernique aura fait sienne cette conviction profonde qu’il avait énoncé : « La science, en général, chez un ecclésiastique, est comme un huitième sacrement pour l’efficacité de son ministère.»
(Sources : Archives historiques de l’archevêché de Paris)
Paule Bergé