Les anciens salariés du CLAL ont eu entre leurs mains des richesses incalculables. Alors pour éviter tout risque de vol en interne ou en externe, des mesures sécuritaires ont été développées. L’usine s’est progressivement enfermée derrière ses murs.
Le mystère de la production et le devoir de réserve
Je me rappelle quand on était petits et qu’on parlait du CLAL, mon père nous interdisait de dire qu’il y avait des métaux précieux.
Il nous disait « vous ne dites pas qu’on travaille sur des métaux précieux, vous dites qu’on travaille le fer, etc. » Je pense que mon père ne voulait pas qu’on sache qu’il travaillait dans une usine où il y avait des métaux précieux parce qu’il aurait pu avoir des pressions quelconques. Il ne voulait pas.
Et puis mon père son métier c’était agent planning. Pour moi c’était mystérieux parce qu’agent planning je ne savais pas ce que ça voulait dire. Je le disais fièrement à l’école quand on me demandait « il fait quoi ton père ? », j’étais tout fier de dire agent en remplissage en planning parce que je pensais que c’était quelque chose de magique alors qu’en fait il faisait la planification de tâches entre l’arrivée d’une camelote et la sortie d’une camelote.
“Ça s’appelait la Monnaie.”
Dans l’esprit des Noiséens, peut-être en avez-vous entendu parler, ça s’appelait la Monnaie. Quand vous parlez aux vieux Noiséens, vous leur parlez de la monnaie, ils savent ce que c’est. On faisait ce qu’on appelle la découpe des flancs monétaires. C’est-à-dire toutes les pièces de 10, 20 centimes, 50 centimes, 1 franc, 5 francs, etc. Et ces flancs étaient ensuite envoyés à Pessac, à l’usine des monnaies qui frappait la monnaie. Il y avait beaucoup de bureaux de tabac, de cafetiers qui venaient se plaindre régulièrement à l’usine parce qu’il y avait « quelques » flancs qui étaient détournés et terminaient dans les jukebox ou les flippers. Ça marche au poids. C’est une anecdote assez marrante. Je ne sais pas si vous avez connu, mais au carrefour de Rosny, il y avait un bureau de tabac, qui s’appelait chez Fiyol à l’époque, lui il est venu se plaindre plusieurs fois parce que comme c’était le plus proche de l’usine, il ramassait régulièrement des flancs. Ceux qui avaient été refusés. Mais le poids était bon et ils terminaient dans les jukebox et les flippeurs.
Dans l’esprit de beaucoup de Noiséens, c’était resté La Monnaie. Et après c’est resté le CLA malgré qu’en 1956 le L est venu se rajouter.
L’usine n’utilisait pas le canal, on utilisait des fourgons blindés de la banque de France. On faisait toutes les pièces de 50c, de 20c, 1f etc. On faisait toutes les rondelles et c’était à perte de vue, c’était mis dans des tonneaux et après ça partait à Bordeaux. Il y avait les motards qui rentraient dans l’usine avec le fourgon blindé, ils allaient jusqu’au platine pour récupérer la monnaie.
“Les personnes qui travaillaient sur place étaient aussi surveillées. Il y avait pas mal de contrôles.”
Pour tout ce qui était vraiment crucial c’est-à-dire l’or et le platine, les salariés prenaient leur métal pour aller travailler et il y avait une fiche de poids à côté. Ils faisaient leurs opérations, ils revenaient avec leur métal et leurs déchets et il était vérifié qu’il y avait bien tout. S’il manquait 5 grammes, il fallait retourner à la machine pour essayer de récupérer les copeaux, etc.
Il y avait également des contrôles aléatoires à la sortie, pas trop pour les métaux précieux parce qu’avec le système mis en place c’était compliqué. Sauf peut-être pour l’argent parce qu’on travaillait des tonnes et des tonnes d’argent et quand vous avez des matériaux de 50 kilos on ne peut pas tout peser. À la sortie du personnel, il y avait des contrôles aléatoires avec un détecteur de métaux. Ce n’était pas à la tête du client, on avait même mis en place un système à boule. Et puis il y avait aussi des contrôles par la police de temps en temps.
Pour tout ce qui était métaux très précieux c’est-à-dire or et platine c’était pratiquement impossible de voler quoi que ce soit. Il y avait des inventaires trimestriels. Moi j’ai un souvenir de l’époque où je dirigeais l’atelier de tréfilerie, un jour il nous manquait une soixantaine de grammes, on a passé deux heures à les chercher et on les a retrouvés. Ils étaient passés à travers les engrenages du laminoir, mélangés à de la graisse… Les deux opérateurs et moi, le chef d’atelier, on n’aurait pas quitté la pièce sans les avoir retrouvés !
Moi personnellement j’ai travaillé du platine, c’était pour des filières pour Saint-Gobain. Je faisais des espèces d’entonnoirs en parallélépipède, à quatre côtés et on perçait des trous dans le fond pour couler le verre. Et quand ils m’amenaient la pièce, la machine était complètement entourée de partout et ils pesaient la pièce quand ils me l’a donnaient et quand elle repartait finie d’usiner ils repesaient la pièce et le copeau.
“Côté chimie on a connu une tentative de holdup !”
Il y avait un central, un poste de gardiennage qui était sécurisé, blindé. Pour votre information, on faisait des tirs dedans volontairement (11-43 ce n’est pas de la petite cartouche) pour s’assurer que le blindage tenait. Il y avait des caméras et des écrans de contrôle qui étaient reliés nuits et jours au poste de police. Il suffisait d’appuyer sur un bouton et la police était prévenue.
À ma connaissance, on a eu sur le site de Noisy-le-Sec, coté métallurgie une seule tentative en pleine nuit, ça a déclenché directement les alarmes, ils n’ont pas pu tenter quoi que ce soit et ils sont repartis tout de suite. Côté chimie par contre, on a connu une tentative de holdup. Deux individus se sont présentés en livreurs avec un carton, le gardien leur a ouvert la porte et arrivés devant la loge ils ont braqué le gardien. Ils voulaient récupérer les métaux ! Il y en a un qui avait dû travailler ici dans le passé parce qu’il connaissait le chemin pour aller à la chambre forte, mais ça faisait au moins trois ans qu’il était parti parce qu’il n’était pas au courant qu’il y avait une serrure horaire à la porte. Le principe de cette serrure horaire c’est d’être programmée pour être ouverte à une certaine heure et vous pouvez faire ce que vous voulez l’attaquer au lance-flamme ou autre, elle ne s’ouvrira pas. Deux personnes seulement connaissaient l’horaire d’ouverture qui changeait tous les jours. Moi je ne l’ai jamais connu et je ne voulais pas la connaitre d’ailleurs. J’avais un code d’accès sous enveloppe scellée dans mon coffre, mais je ne le connaissais pas. Personne ne voulait le connaitre. Ce qui fait que quand ils sont arrivés devant la porte, c’était l’horreur alors ils sont partis. Le gardien a voulu se mettre en travers alors ils lui ont cassé un peu la tête à coup de cross. C’est le seul truc qu’on ait connu d’un peu délicat.
“De la poudre d’or dans les cheveux…”
Il y a des gens qui se mettaient de la poudre d’or dans les cheveux. Quand ils rentraient chez eux, ils se lavaient les cheveux et ils récupéraient l’or. À l’époque il n’y avait pas de caméra, il n’y avait rien. On était fouillés, mais quand il y avait beaucoup de monde, il y en a qui passait à travers. Plus tard, ils ont mis des caméras et c’était plus pareil. Au départ, il y avait une société de gardiennage, mais c’était des copains, des anciens. Puis les anciens sont partis, ils ont mis une autre société de gardiennage et c’était plus pareil.
Certains balançaient des chutes, des morceaux par-dessus le mur vers le canal, et d’autres personnes prévenues récupéraient les morceaux derrière…
Pour moi le vol, ce n’était pas pensable, ce n’est pas dans mon éducation.
Une fois je me rappelle, il y avait un des responsables qui courrait tout le temps, enfin il marchait, mais on avait l’impression qu’il courrait, ce qui ne l’a pas empêché de se faire licencier d’ailleurs, il nous a passé un savon parce il y avait une palette de lingots d’or ou d’argent qu’on avait laissée dans la cour, qui était là depuis une heure, qu’on n’avait pas rentrée .. Il y avait un vigile avec une barrière, mais c’est vrai qu’il n’y avait pas de contrôle, des fois c’était fermé, mais bien souvent c’était ouvert parce qu’il y avait régulièrement des allers retour de camions, enfin ça aurait facilement pu se faire braquer quoi. Aujourd’hui, ce ne serait plus possible !