Bref rappel des faits  

Dans la nuit du 18 au 19 avril, à 23h30. En vingt-cinq minutes, 181 avions déversent plus de 3000 bombes, certaines de gros calibre de 250 à 500 kg, causant des dégâts et des ruines considérables. Des centaines de morts, de blessés, des quartiers entiers rasés, les canalisations d’eau, de gaz, d’électricité éventrées, les cimetières retournés, tel est le bilan de ce bombardement.

Avant de vous parler des dommages spécifiques de la gare qui était l’objectif du bombardement, un mot sur les 2 Halifax qui se sont percutés au-dessus de la gare SNCF après le largage de leurs bombes.

Les avions

L’un s’écrase sur le triage ; dans le bombardier Halifax type BIII – LW 643 QO+E tombé au sol, il y a 2 survivants. L’autre appareil tombe sur le toit d’un atelier.

L’un des survivants est Gerard Schaughnessy, mitrailleur de queue, il est blessé mais arrive à sortir de la carlingue. Il parviendra à rallier Londres.

Le second est le sergent Pett, il sera fait prisonnier et sera libéré en 1945. Nous connaissons son histoire grâce au témoignage de M. Cohat, conservateur du cimetière ancien. Ce dernier sera fait « french helper » après guerre. Nous pouvons traduire ce terme mot à mot par « secoureur français », ils constituaient un réseau national qui aidait les parachutistes ou aviateurs alliés égarés sur le sol français.

Pour mémoire ce sont 27 aviateurs qui ont péri ce jour-là.

La gare, des dégâts 

Le 19 avril, au lever du jour, la gare est en feu ainsi que 12 immeubles de la rue J. Jaurès. Il est impossible de lutter contre les foyers d’incendie en raison de la rupture des canalisations d’eau.

A noter que pendant plus de 15 jours les rescapés n’eurent comme alimentation en eau que quelques puits et l’apport quotidien place J. d’Arc d’une tonne d’eau potable (gros tonneau).

Toutes les installations de la SNCF sont inutilisables pour de longs mois.

Un premier rapport fait état de :

– gare des voyageurs aux deux tiers démolie. Marquises métalliques des quais à voyageurs (longueur 102,90m) détruites y compris la partie rampante des escaliers pour les quais 3 et 4 (photos 9, 10 et 10bis)

– installations de transbordement détruites

– bâtiments de la petite vitesse entièrement détruits

– 5 postes d’aiguillage détruits

– les 2 rotondes : dégâts très importants, mais ossatures métalliques conservées

– grue de 50 tonnes détériorée et une autre détruite

– 13 locos endommagées dont 3 irréparables

– 1 autorail détruit

– environ 100 wagons détruits

– ateliers de réparation et magasins généraux détruits, 136 bombes dénombrées

– lignes principales coupées en plusieurs endroits idem pour les lignes de triages, bousculées et arrachées en plusieurs points

Après le bombardement, les services de la SNCF réagissent immédiatement. Une reconnaissance générale des destructions est faite dans la journée du 19 avril par les dirigeants de l’arrondissement dans le but de rendre compte approximativement des dégâts causés et des moyens à mettre en œuvre pour les réparations.

Le 20 avril, M. Legrand, chef d’études, constitue avec 6 dessinateurs, 3 équipes chargées de procéder à une reconnaissance détaillée des installations avec établissement d’un plan. M. Legrand ne peut remplir qu’une petite partie de sa mission à cause des éclatements de bombes à retardement rendant dangereux la circulation et le stationnement sur les voies. Un membre de l’équipe a même été blessé par la projection d’un pavé.

Le 21 avril, M. Legrand poursuit cette reconnaissance en prenant les précautions nécessaires, c’est-à-dire en évitant de s’approcher des bombes non éclatées dont les emplacements sont mieux connus que la veille. A l’exception de M. Tremblot, les dessinateurs refusent d’exécuter ce travail. M. Legrand et M. Tremblot réalisent dans la journée la reconnaissance détaillée des voies principales.

Le 22 avril, une note de la SNCF destinée au chef du service des voies et des bâtiments, demande une reconnaissance détaillée des dégâts.

Le 23 avril, une équipe du Service Régional entreprend l’établissement du plan de situation concernant le triage, les ateliers et le dépôt.

Parallèlement, dès le 19 avril des travaux de réparation ont été entrepris côté Paris, avec 120 hommes environ. Côté Noisy les réparations commencent le 21 avril avec du personnel de Vaires, les trains-parcs de Troyes et de Châlons et du personnel de diverses catégories : pionniers militaires, pionniers de l’armée allemande, détachements de l’Armée de l’Air, requis, organisation Todt, 500 ouvriers fournis par la Préfecture de la Seine doivent s’ajouter à cet effectif le 24 avril.

Ce sont les voies 1ter et 1bis qui présentent le moins de destruction dans la traversée de la gare, les réparations commenceront par elles.

En dehors des voies, les réparations portent en urgence sur le rétablissement d’un itinéraire de sortie des machines du dépôt de Noisy par la voie I GC et le raccordement I GC PS.

Le 27 avril, 2 voies Paris Nancy et le 29 avril une voie Paris Mulhouse sont ouvertes. Une 2eme voie Paris Mulhouse sera ouverte le 1er mai.

Le 29 avril, il y a encore 10 bombes à retardement non explosées sur les voies principales

Le 3 mai à 17 heures la circulation des trains est rétablie entre Paris et Bondy et entre Paris et Rosny, vitesse limitée à 30 km/h.

Le service voyageurs est interrompu pendant plus d’un mois puis reprend avec 2 trains le matin et 2 le soir. Une circulation « normale » n’est rétablie qu’en juillet 1945.

Une note très intéressante du 13 juin 1944 à propos des travaux d’enlèvement des bombes non explosées qui ont repris le dimanche 4 juin : M. Straudel, inspecteur du contrôle allemand, rapporte que l’officier artificier allemand donne l’ordre que les bombes ayant pénétré à plus de 8 m de profondeur doivent être abandonnées, ce qui explique que nous en trouvons encore de nos jours.

Le bâtiment voyageurs est lui aussi expertisé

Le déminage

Il est effectué sous contrôle allemand par des détenus français politiques ou de droit commun auxquels on promet la liberté pour 5 bombes déterrées. Parmi eux, merci Christian pour tes souvenirs de catéchisme, John Williams (de son vrai nom Ernest Huss), le chanteur. Avant d’être chanteur, John est ajusteur outilleur à Montluçon pendant la seconde guerre mondiale. Suite à un acte de sabotage commis dans son usine, il est arrêté et torturé par la Gestapo. Il ne parlera pas. Il a 22 ans et en mars 1944, il est condamné à la déportation et est envoyé au camp de Neuengamme, situé au sud-est de Hambourg. Son départ vers le camp est retardé par l’opération de déminage. Il sera libéré en 1945. Il reverra Noisy le 13 février 1969 à l’occasion d’un concert donné en l’église St Jean Baptiste au profit des travaux de réfection de la façade.

Des internés juifs du camp de Drancy sont envoyés par les nazis pour désamorcer les bombes non éclatées. Je vous raconterai cette odyssée le mois prochain.

Le 4 mai 1944, réquisition de main d’œuvre à la demande des autorités allemandes qui réclament 750 hommes pour le dégagement des voies. Les maires des communes du canton de Noisy se concertent et décident de prendre à leur charge le contingent à fournir par Noisy-le-Sec, en raison de l’épreuve subie par la ville, soit 60 hommes. 

Le 8 mai à 8 heures du matin, les 750 hommes requis sont présents à la gare.

La reconstruction

Le dépôt fut reconstruit en conservant partiellement certains bâtiments épargnés.

Les rotondes ne seront pas réparées, on leur substitue des bâtiments construits en 1949.

1945, réparation provisoire du pont de la gare

1947, réparation partielle du pont de la Folie

1950, construction des nouveaux ponts de la gare, raccordement en ligne droite des axes J Jaurès/Gallieni

La gare est reconstruite en 1955 par la SNCF parallèlement à la rue J. Jaurès, son centre étant placé dans l’axe du boulevard de la République.

Anne-Marie Winkopp